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duction de quatorze mille hommes sur l’effectif de l’armée : ici la question devient de plus en plus délicate, et l’économie peut être un danger.

Ne dirait-on pas que l’horizon politique est dégagé de tout nuage, que la France et la dynastie de juillet n’ont plus d’ennemis, et que la France n’a plus besoin de se montrer avant tout forte et armée ? Sans doute, on doit compter sur la paix, sur la paix à l’intérieur et à l’extérieur ; mais nous y comptons d’autant plus que les moyens de soutenir la guerre sont tout prêts, et nous ne voudrions pas que les chambres se montrassent disposées à affaiblir notre organisation militaire. Il ne faut pas qu’il y ait désaccord entre la situation politique du pays et les résolutions des grands corps de l’état, et que, tandis que le pays doit avant tout se préoccuper de sa puissance, les chambres ne songent qu’aux économies.

La commission compte 60 mille hommes pour l’armée d’Afrique. Il est notoire que ce chiffre n’est pas le chiffre réel. L’Algérie, avec le système adopté, système que la chambre n’a pas blâmé, demandera 25 mille hommes de plus. Ainsi, au fait, ce ne serait pas 14 mille hommes, mais près de 40 mille hommes qu’on retrancherait de l’armée disponible. Il y a plus. Certes, nous n’avons pas à nous mêler des troubles de l’Espagne ; cependant si la guerre civile déchire de nouveau ce malheureux pays, si elle étend ses fureurs et ses ravages jusqu’à nos frontières, devons-nous les laisser exposées à quelques insultes ? Pourrons-nous permettre que des corps belligérans, des bandes armées, des troupes de déserteurs, de fugitifs, des partisans, en approchent sans qu’un corps d’observation surveille notre territoire et le fasse respecter ? Est-ce ainsi que nous protégerions nos compatriotes du midi et notre commerce ? Est-ce ainsi que la France remplirait ces devoirs d’humanité qui lui ont toujours été si chers et qui la distinguent si honorablement entre toutes les nations ? Évidemment, les mêmes circonstances se reproduisant, nous serions dans la nécessité de faire ce qu’on a déjà fait plusieurs fois ; nous devrions prendre vis-à-vis les factions qui divisent l’Espagne la position d’une neutralité sincère, mais armée, armée dans l’intérêt de la dignité de notre pays et aussi dans l’intérêt de l’humanité. Nous ne pouvons pas permettre que des étrangers, dans l’emportement de leurs passions politiques, viennent s’entretuer jusque sur le territoire français.

Les nouvelles d’Espagne sont loin d’être rassurantes pour les amis d’Espartero. Ce qui était le nerf de son parti, sa seule force réelle, l’armée, paraît aussi s’inquiéter de la situation politique de son pays ; les défections auraient commencé. On assure que plus d’un bataillon est passé avec armes et bagages aux insurgés. L’insurrection compte dans ses rangs des chefs militaires, des officiers supérieurs. Plusieurs de ceux qui n’ont pas encore levé l’étendard de la révolte gardent une sorte de neutralité fort suspecte. Le régent reconnaîtra peut-être et trop tard que, lorsqu’on se sert de la force militaire pour vider les querelles politiques, il est bien difficile de ramener sous les lois de l’obéissance passive et de la discipline une armée qui a délibéré et disposé à son gré du pouvoir. Le 18 brumaire, on peut le blâmer ou l’approuver ; mais l’imiter ! l’imiter impunément ! qui pourrait s’en flatter ? Il fallait le conqué-