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REVUE. — CHRONIQUE.

rant de l’Italie et le vainqueur des Pyramides pour le tenter ; il fallait un pays soupirant tout entier vers le retour de l’ordre et de la puissance régulière pour réussir ; il fallait le vainqueur de Marengo, l’auteur du code civil et du concordat, le réorganisateur de la France, pour consolider l’œuvre et faire oublier à l’armée un quart d’heure de violence et d’illégalité. De bonne foi, y a-t-il, y avait-il rien de semblable en Espagne ?

Il est toujours téméraire de hasarder des prédictions sur la Péninsule. Les évènemens déjouent d’ordinaire les prévisions les mieux fondées. Il faut cependant reconnaître que la situation du régent n’a jamais été, à beaucoup près, aussi difficile qu’elle l’est dans ce moment. Tous les partis se sont réunis contre lui. Que lui restait-il ? L’armée et l’ambassade anglaise. L’armée paraît se diviser, et l’ambassade anglaise sera-t-elle toujours approuvée sans réserve aucune par son gouvernement ?

D’ailleurs, disons-le, le gouvernement espagnol paraît toucher à cet état d’aveuglement qui est d’ordinaire le précurseur de quelque catastrophe. Après avoir accepté les services d’un ministère honorable et qui paraissait satisfaire les vœux du pays, on lui refuse l’éloignement de deux agens subalternes, et on veut le contraindre à se servir, sous sa responsabilité, de Linage et de Zurbano ! Les cortès manifestent leur adhésion au ministère qui se retire, et on les dissout. On éloigne autant que possible la réunion de la nouvelle assemblée, et, en attendant, on confie les affaires, à qui ? À M. Mendizabal, qui n’a rien de plus pressé que de porter au comble le désordre des finances espagnoles, et qui paraît s’être chargé d’achever la désorganisation du pays.

Nous ne savons s’il est encore temps ; mais les meilleures folies sont les plus courtes. Qu’Espartero s’empresse de rappeler aux affaires des hommes sérieux et considérables, et peut-être pourra-t-il achever avec quelque dignité la courte carrière qui lui reste à parcourir comme régent. Le moment de la force brutale paraît passé pour lui sans retour. Les horreurs de Barcelone ne se renouvelleront pas. C’est aux violences exercées en Catalogne que le gouvernement espagnol doit en grande partie les embarras dont il est assiégé et l’affaiblissement de son autorité morale. On ne blesse pas impunément les sentimens et la dignité d’une grande nation. On n’oubliera jamais que Barcelone a été traitée comme une plantation d’esclaves révoltés. Aujourd’hui, c’est par des moyens légaux, par de prudentes concessions, par des transactions honorables que le gouvernement d’Espartero pourrait peut-être prévenir les désordres dont l’Espagne est de nouveau menacée, et arriver au terme de sa carrière sans regrets et sans remords.

La Russie ne perd pas de vue les affaires d’Orient. Son influence est d’autant plus grande, que l’Autriche n’ose plus, dans ces questions, se séparer du cabinet de Saint-Pétersbourg, et qu’au lieu de le contrecarrer ou de le contenir, elle l’appuie. Ce qui vient de se passer au sujet du gouvernement de la Servie a singulièrement relevé dans l’Orient l’opinion de la puissance russe et affaibli l’influence des autres cabinets. L’empereur Nicolas a traité le sultan comme un suzerain traite son vassal. Avec les formes polies de notre temps, avec la courtoisie quelque peu dédaigneuse d’un grand seigneur qui