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REVUE. — CHRONIQUE.

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On ne doit pas, non plus, aux colonnes antiques
Clouer, comme un affront, quelques blanches boutiques.
Un pareil assemblage attriste le regard,
Comme un hochet d’enfant sur le cou d’un vieillard.
Jadis la main d’un dieu vengea la maison sainte
Des tables de marchands qui salissaient l’enceinte.
Eh bien ! vengeons aussi le prétoire[1] insulté,
Car les siècles lui font une divinité.
Que l’artiste étranger qui vient dans ses décombres
D’Auguste et de Livie interroger les ombres,
Puisse, se détachant des choses d’aujourd’hui,
Évoquer longuement ces grands noms devant lui,
Et rêver des Romains, sans que sa rêverie
Heurte désenchantée une conciergerie.
Profaner à ce point ces débris imposans,
Ce serait nous montrer plus cruels que les ans.
Les ans n’insultent pas quand ils font leurs ravages.
Et pendant que l’on voit les peuplades sauvages
Entourer de respect et d’un culte pieux,
Comme un objet sacré, les os de leurs aïeux,
Nous, fils dénaturés, nous, la moderne Vienne,
Devons-nous outrager les restes de l’ancienne !
Ah ! sachons respecter dans les vieux monumens,
D’un siècle enseveli les sacrés ossemens !
Où le peuple ne voit que pierres dégradées
Le philosophe trouve un symbole d’idées,
Hiéroglyphe écrit par nos prédécesseurs,
Pétrifiant ainsi l’histoire de leurs mœurs.
L’artiste y reconnaît le chef-d’œuvre d’un maître,
L’antiquaire un trésor et la ville un ancêtre.
Le trafic a chez nous une assez large part ;
Laissons-y quelque coin pour y cultiver l’art.
C’est ainsi qu’on verra notre Vienne nouvelle
Reconquérir un nom qui fut perdu par elle,
Et marcher dans l’espoir et dans le souvenir,
Les pieds dans le passé, le front dans l’avenir.

Ce sont là des vers qui, malgré quelques taches, ne manquent pas d’une certaine beauté, et M. Ponsard ne nous paraît pas encore assez riche de pareils morceaux pour les désavouer comme il fait, avec tant de hauteur et de dédain. Somme toute, nous aimons à croire que, dans le cas présent, c’est une vertu de M. Ponsard qui a nui à sa prudence et à ses autres qualités. On ne gagne jamais rien à se mettre du parti des sots. M. Ponsard nous aurait donné ici une trop triste idée de son goût, s’il ne nous en avait donné une bien haute de sa reconnaissance.

  1. Prétoire est le nom qu’on donne vulgairement à Vienne aux restes d’un monument qu’on croit avec plus de raison avoir été le temple d’Auguste et de Livie.