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REVUE. — CHRONIQUE.

Peut-on raisonnablement croire que de semblables provocations resteront sans effet sur une population aussi inflammable que celle de l’Irlande ? Ne suffit-il pas d’une étincelle pour mettre le feu à tous ces élémens qui fermentent ? L’Angleterre sent le péril. Son gouvernement envoie chaque jour des troupes et des munitions en Irlande ; la bourse, cet infaillible thermomètre, s’agite et suit l’orage. On ne croit pas à une révolution, mais on craint une révolte. L’Angleterre sait bien qu’elle est la plus forte mais elle sait aussi qu’en frappant l’Irlande, elle se frapperait elle-même, et que de telles victoires lui coûteraient aussi cher que des défaites.

Quoi qu’il arrive, monsieur, soit que l’agitation du rappel se maintienne dans les limites de la constitution, soit qu’elle en sorte et se change en insurrection, elle n’en est pas moins, d’une manière ou de l’autre, un immense embarras pour le gouvernement anglais. Un tiers du royaume-uni ne peut rester en état de révolte pacifique, si l’on peut parler ainsi, sans que la sécurité de l’état et les intérêts généraux en soient profondément altérés. D’un autre côté, tant que M. O’Connell se maintiendra lui-même et maintiendra son parti dans les bornes de la légalité, le gouvernement n’a pas le droit de l’inquiéter. Depuis le commencement de sa carrière politique, M. O’Connell a toujours eu une tactique uniforme ; il a constamment cherché à mettre le gouvernement dans son tort, à lui faire prendre, aux yeux du public, l’initiative de l’agression. Cette fois encore, il a réussi. Ainsi, le chancelier d’Irlande a destitué des magistrats parce qu’ils avaient assisté à des meetings tenus pour le rappel. À nos yeux et dans nos mœurs, rien de plus naturel, rien de plus juste ; mais, dans la Grande-Bretagne, le droit de pétition et le droit de se rassembler pour pétitionner font partie intégrante de la constitution. Le nombre ne fait rien à la légalité ou à l’illégalité des réunions. Il est parfaitement légal aussi de discuter le rappel de l’union, car l’union a été faite par un parlement, et peut être défaite par un autre. Il est bien clair que les meetings violaient l’esprit de la loi, mais ils n’en attaquaient pas la lettre, et c’est toujours derrière la lettre que se retranche M. O’Connell.

Sir Robert Peel a évidemment affaire à forte partie. Le diable, quand il venait tourmenter Luther dans ses rêves, et argumenter avec lui en disant : « Et moi aussi je suis logicien, » n’était pas plus embarrassant qu’O’Connell venant troubler le sommeil du premier ministre, et lui disant : « Et moi aussi je sais mon droit. » Rien n’est plus curieux, plus intéressant que d’assister à la lutte de ces deux hommes, tous deux très expérimentés, très fins, très rusés. O’Connell est toujours, passez-moi le mot, à cheval sur la loi. On a dit de lui qu’il conduirait une voiture à quatre chevaux à travers la constitution sans rien toucher. « Je déclare, disait-il l’autre jour, je déclare à sir Robert Peel et au duc de Wellington que j’observerai la lettre de la loi et l’esprit de la loi. Je me tiendrai dans les plus strictes limites de la légalité ; aussi long-temps qu’on me laissera un point dans la constitution où je puisse placer mon pied comme sur le point d’Archimède, j’y maintiendrai la liberté de mon pays. Nous sommes prêts à rester sur le terrain constitutionnel ; mais si on nous force à en sortir, alors vae victis. »