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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/157

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LETTRES SUR LA SESSION.

Je voudrais, sans trahir nos secrets intérieurs, vous retracer toutes ces péripéties. Si cette histoire rétrospective vous intéresse encore, suivez-moi par la pensée dans la chambre même, et reportons-nous à l’instant où s’ouvre la scène.

Presque tous les députés occupent leur poste : les malades ont quitté leur fauteuil ; les blessés arrivent en boitant, les fonctionnaires ont obtenu un congé, ou plutôt un ordre de départ ; les centres ont revu M. le marquis de Dalmatie, arraché par la piété filiale aux doux loisirs de la cour de Turin ; on n’aperçoit presque aucun vide sur les bancs. La pairie occupe les places circulaires qu’une courtoise réciprocité lui a réservées dans notre enceinte. Le public se presse dans cette double rangée de tribunes, j’ai presque dit de loges, qui trahit notre besoin de représentation et de spectacle, et où la galanterie des questeurs assigne les premières places aux femmes, que nos voisins d’outre-Manche, moins chevaleresques, n’admettent pas même dans leur parlement.

Remarquez dans les diverses fractions les personnages considérables. M. de Lamartine a conservé, dans les régions neutres de l’extrême droite, le siége d’où on l’a vu, tour à tour adversaire ou défenseur des ministères, s’élancer à la tribune pour répandre sur l’assemblée les richesses de sa magnifique et capricieuse parole. MM. Dufaure et Passy, plus unis par les évènemens que par les opinions, semblent, non loin de M. de Lamartine, se concerter sur la lutte qui va s’engager. M. Berryer, assis à droite, auprès du banc des ministres, converse amicalement avec M. Villemain. Nous ne les entendons point ; cependant je gage que nulle aigreur n’altère l’urbanité de leur spirituelle causerie. À l’autre extrémité, sur les bancs inférieurs de la gauche, M. Barrot semble contenir, par la gravité de son maintien et le calme de son attitude, les ardeurs parfois trop juvéniles de ses amis. M. Thiers, au centre gauche, captive ses voisins par la grace de sa conversation ; les préoccupations des affaires et les soucis de la vie publique y disparaissent sous l’attrayante liberté d’un esprit toujours facile, piquant et aimable. À égale distance de M. Barrot et de M. Thiers, M. Dupin s’abandonne à sa verve caustique et la laisse éclater en bons mots ; il compare le ministère, depuis l’adresse, à un lièvre atteint par le plomb du chasseur et qui n’a plus qu’à mourir dans le taillis. Au banc des ministres, M. Duchatel, le statisticien du cabinet, étudie et annote une liste de députés ; M. Guizot, dont le génie appartient à la tribune et l’habileté pratique à la stratégie parlementaire, interrompt sa méditation pour prodiguer à ses amis les sourires et les poignées de main ; il interroge d’un œil inquiet les bancs du centre, écrit aux absens, fait appeler ceux qui s’oublient dans les couloirs, et concerte avec ses lieutenans le plan de la bataille. Pendant ce temps, une agitation moins contenue règne dans la salle des conférences. Tout y révèle une situation critique ; les députés ordinairement les plus solitaires se mêlent aux groupes et prennent part aux conversations ; on s’interroge sur ses espérances, sur