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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/168

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le suit et ne l’entrave point. L’opposition, patiente, laborieuse, éclairée, observe avec sollicitude la marche du gouvernement, ne lui pardonne aucune faute, ne lui épargne aucune censure ; affranchie des entraves de la forme, elle pose, quand et comme il lui plaît, les questions de cabinet. Parfois le parti radical demande des réformes politiques, un jour le scrutin secret dans les élections, un autre jour les parlemens annuels ; l’opposition entière recherche avec un soin constant l’amélioration de toutes les lois, mais elle ne considère pas les propositions de réforme comme sa tâche principale et exclusive ; elle sent et prouve quelle est incessamment elle-même une partie du gouvernement, qu’elle influe sur sa marche, et que son premier devoir est d’intervenir dans les actes de chaque jour, de contrôler toutes les affaires publiques, de se montrer plus habile à les diriger que le ministère, de ressaisir un jour le pouvoir, non par la violence et la menace, mais par le droit du talent et l’autorité de la confiance publique. Le parlement du royaume-uni est le patron de tous les intérêts, le guide de l’opinion, le gouvernail de l’état ; tout pouvoir remonte jusqu’à lui et en redescend ; toute influence s’efface devant la sienne ; son autorité est absolue, ne souffre aucun contrôle et s’exerce constamment pour le développement de la grandeur nationale, l’accroissement de la prospérité publique, et la gloire du nom anglais. La nation le comprend : elle aime et respecte le chef de l’état, elle ne refuse jamais de lui attribuer, dans ses actions de grace, l’honneur des succès obtenus par son gouvernement ; mais le plus humble des citoyens sait que le parlement est le maître souverain, et depuis le premier lord de la trésorerie jusqu’au dernier matelot naviguant dans des mers lointaines, tout Anglais se confie à cette direction suprême et se sent fier de vivre sous une forme de gouvernement qui a porté si haut la splendeur de sa nation.

En empruntant à l’Angleterre ses formes constitutionnelles, nous lui avons laissé cette simplicité pratique qui tient à la fois à son génie propre et sa longue expérience. Nous convions le public à nos débats comme aux jeu du théâtre ; en toute occasion, l’effet dramatique passe avant l’utilité réelle ; nos orateurs sont réduits à se draper sur une tribune dont le marbre solennel semble exclure le langage positif, condamner les discussions d’affaires et provoquer la forme oratoire, si secondaire dans les débats d’une politique sensée. Le souvenir des excès révolutionnaires a fait adopter et maintient une foule de règles destinées à entraver les rouages, et à contenir et modérer le mouvement des esprits. Toute motion est interdite, toute déclaration de principes suspecte, toute enquête redoutée. Chaque question, nécessairement renvoyée devant une commission, y subit d’interminables lenteurs ; la réponse au discours de la couronne n’est discutée chaque année, au début de la session, qu’après de mortels retards. Plusieurs mois s’écoulent avant que le travail politique ait commencé. Le parlement anglais, convoqué six semaines plus tard, a déjà résolu dix motions, discuté vingt lois et adopté les plus importantes mesures, quand l’absence de sujets préparés pour la dis-