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aussi calme, aussi résignée et aussi prudente, pour un parti qui aspirait moins à changer le système général du gouvernement qu’à lui donner des instrumens nouveaux, la première condition du succès était d’avoir un ministère tout prêt, et de rassurer tous les intérêts contre les incertitudes du lendemain. Nul doute que, si l’opposition avait été en mesure de garantir l’adhésion de quelques hommes considérables à une combinaison nouvelle, une crise ministérielle ne se fût ouverte au début même de la session ; nul doute qu’elle ne devienne encore imminente le jour où l’on verrait le pouvoir hautement réclamé par les hommes qui, depuis trois mois, ont paru plus jaloux de l’arracher à leurs adversaires que de s’en emparer pour eux-mêmes. Le gouvernement représentatif est un gouvernement de sincérité dans lequel l’ambition n’est légitime qu’à condition d’être publiquement avouée. Le pouvoir est un but qu’il faut constamment poursuivre dans la défaite comme dans la victoire, et l’on n’est chef de parti qu’à la condition d’accepter, avec une même égalité d’esprit, l’une et l’autre alternative.

Les hésitations que les candidats au ministère ont éprouvées à l’approche de la crise, les répugnances de ceux-ci pour le pouvoir lui-même, de ceux-là pour des alliances rendues nécessaires, le silence prolongé de M. le comte Molé à la chambre des pairs, et de M. Thiers à la chambre des députés, telles sont donc les causes véritables de la position actuelle. Le cabinet est trop éclairé pour méconnaître ce qu’il doit à l’attitude de ses adversaires et pour attribuer à ses propres efforts une victoire qu’ils ont laissé échapper de leurs mains, faute de la désirer assez vivement ou de s’entendre pour la conquérir. Il n’en profite pas moins, et c’est son droit, des avantages qui lui ont été si gratuitement abandonnés, et il n’est pas impossible qu’avec de l’habileté et du bonheur le ministère ne finisse par changer en un triomphe durable une trêve qui s’est sans doute prolongée fort au-delà de ses espérances et de son attente.

La chambre a cru devoir repousser la proposition de M. Duvergier de Hauranne, tendant à substituer au vote secret le vote par voie de division. Nous le regrettons sincèrement, sans nous dissimuler la gravité des objections présentées avec tant d’autorité par M. Vivien. L’inconvénient du vote public consiste à mettre les faibles à la merci de la force, soit que celle-ci appartienne au gouvernement ou à l’opinion extérieure ; à les livrer aujourd’hui aux excitations du pouvoir, demain aux menaces de la place publique. Mais les inconvéniens du vote secret ne sont-ils pas plus graves encore et d’une nature plus permanente ? Ce mode ne corrompt-il pas les mœurs publiques à leur source, et cette session n’a-t-elle pas offert à cet égard, dans le sein même des deux chambres, des exemples déplorables ? Lorsque de toutes les nations constitutionnelles des deux mondes la France seule est contrainte d’abriter sa liberté législative sous le manteau du scrutin secret, n’y a-t-il pas dans cette exception quelque chose qui doit peser à l’honneur national ? Si la chambre a repoussé la proposition malgré l’adhésion personnelle de M. Guizot, l’imposante minorité qui l’a accueillie est le gage d’un