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REVUE. — CHRONIQUE.

quelque forme qu’elle dût se produire, l’une des causes les plus graves qui pût atteindre l’influence française en Europe.

L’occupation des îles de la Société a été accueillie avec faveur par l’opinion publique. C’est une fiche de consolation pour la prise de possession de la Nouvelle-Zélande au nom de l’Angleterre, peut-être même est-ce une transaction dans une négociation sur laquelle l’attention de la chambre n’a pas été encore appelée d’une manière sérieuse. Contraint, depuis quelques années, de se montrer souvent dans l’Océanie pour venger les injures essuyées par nos nationaux, le pavillon français n’avait aucun point de relâche dans ces vastes mers. Les deux archipels des Marquises et de la Société lui en assurent, particulièrement aux îles de Taïti et d’Eiméo, renommées par leurs bons mouillages. Des intérêts commerciaux qui ne sont pas sans quelque importance, des intérêts religieux qui en ont une bien grande aussi, se lient à cette occupation successive de deux groupes, dont la possession pourrait amener plus tard l’établissement de l’influence prédominante, si ce n’est de la souveraineté de la France aux îles Sandwich. La chambre sera, sous peu de jours, appelée, par un projet de loi et une demande de crédit, à se prononcer sur le sort de ces nouvelles possessions. Sa prudence et celle du gouvernement sauront mesurer les sacrifices pécuniaires à l’importance véritable de ces colonies lointaines, où personne ne peut songer à fonder des établissemens coûteux, que nous serions dans l’impossibilité de défendre en cas de guerre maritime. Ce débat aura de la portée, et le pays le suivra avec un vif intérêt. Il est temps de sortir de nos misères intérieures et d’embrasser d’une vue plus large des questions qui touchent à l’influence morale de la France dans le monde et au sort même de l’humanité.

Les explications échangées à cet égard au parlement, sur l’interpellation de lord Lansdowne, ont été inspirées par l’esprit le plus élevé, et sont un nouveau témoignage des efforts persévérans tentés en Angleterre pour calmer nos justes susceptibilités. La France accepte ces procédés courtois à titre de réparations pour une blessure qui saigne encore, mais elle s’indignerait s’il fallait y voir un calcul pour arriver à une concession prochaine et onéreuse. Que l’Angleterre, pour faire oublier l’acte funeste du 15 juillet, ne témoigne aucune humeur de l’extension de notre influence dans la mer du Sud, c’est une chose habile et de bon goût ; qu’elle espère ainsi nous amener à la signature d’une convention commerciale, ou nous inciter à confondre nos intérêts avec les siens dans la Péninsule, ce serait le moins sûr et le plus imprudent des calculs. Quelques conquêtes dans ces mers, où nous n’occuperons que la seconde place, puisque l’Angleterre y a depuis long-temps pris les meilleures et les plus formidables positions, n’auront jamais qu’un intérêt politique fort secondaire, Il y a là une question de propagande religieuse plutôt que d’influence territoriale ou même maritime. C’est ainsi que l’affaire a été envisagée dans la chambre des lords et dans la presse anglaise c’est ainsi qu’elle ne saurait manquer d’être comprise en France.