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MOUVEMENT LITTÉRAIRE DE L’ESPAGNE.

la nouvelle maîtresse de don Juan, Sirène la danseuse, don Gonzalo demande à son ami de lui céder Marguerite ; — C’est marché fait, dit l’ingrat, mais à condition que vous la remettrez dans son couvent quand elle vous ennuiera. — Comment ? elle est nonne ? J’ai une sœur qui est nonne aussi ; et dans quel couvent l’avez-vous prise ? — Chez les sœurs de Jésus, à Palencia. — Ô ciel ! — Qu’avez-vous donc ? — Marguerite est la sœur de don Gonzalo.

Les deux amis se battent. Don Juan tue Gonzalo, et s’échappe de Madrid avec Marguerite ; puis le misérable abandonne sa maîtresse dans une hôtellerie. La pauvre Marguerite, seule, délaissée de tous, cruellement punie de ses illusions, a recours à la charité publique pour revenir à Palencia. Elle erre quelque temps devant la maison de son séducteur ; mais elle ne voit aucune lumière au balcon, elle n’entend sortir aucune voix aimée. Ce qui lui restait de son amour s’évanouit. Elle se réfugie toute tremblante dans l’église de son couvent. Il est minuit. C’est l’heure de son premier rendez-vous, l’heure aussi de son fatal départ. Elle s’arrête devant une statue de la Vierge ; tous les souvenirs de sa pieuse vie lui reviennent. Cette statue est celle qu’elle aimait à honorer, celle qu’elle parait si souvent de ses plus beaux habits, avec des joies et des larmes d’enfant ; c’est devant elle que, la nuit de sa fuite, elle adressa à la sainte mère de Dieu sa dernière prière. Ce bouquet, c’est elle qui l’a fait ; ce voile, c’est elle qui l’a brodé ; sur cette croix, elle a déposé mille et mille baisers. « Ô Marie, disait-elle, ne m’abandonnez pas ; souvenez-vous de moi. » Ici, il ne suffit plus d’analyser, il faut traduire.

« Le cœur pénétré d’une sainte tristesse, elle soupire pour une vie sans trouble et sans délire. Le calme de sa cellule, le saint murmure de sa prière dans le chœur, la paix de son jardin, le charme consolateur d’une vie passée seule à seule avec Dieu, loin de l’amour et du monde, tous ces souvenirs aimables passent devant elle avec un si doux sourire que, baignée des pleurs de la foi, elle s’écrie : « Hélas ! qui pourrait me rendre à ma vie austère et à un meilleur avenir ? » Alors, du fond d’une nef solitaire, elle voit s’approcher d’un pas tranquille et grave une sainte religieuse ; la lumière que l’inconnue porte devant elle pour la guider ne permet pas à Marguerite de distinguer ses traits. Craignant d’être reconnue, la pauvre fille s’enveloppe si bien dans sa mante, qu’elle ne voit plus qu’à peine la religieuse, mais elle entend ses pas se rapprocher de plus en plus. Enfin elle la sent passer tout auprès d’elle, et, en la regardant, elle s’étonne de ne pas la reconnaître. « Ce sera une novice, dit-elle, qui sera entrée au couvent depuis mon départ. »

« Cependant la religieuse s’approche des autels pour les orner ; Marguerite la suit et trouve dans toute sa personne je ne sais quoi d’étrange qui la fait