Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
216
REVUE DES DEUX MONDES.

tétanos, tantôt la paralysie, et bien d’autres maux horribles qu’il guérit merveilleusement ; dans un rapport récent du directeur de l’administration des tabacs, on lui attribue la guérison de quelques cas de phthisie. Long-temps on s’est servi de lavemens de fumée de tabac dans le cas d’asphyxie par immersion, pour rappeler à la vie des noyés dont les intestins avaient perdu presque toute leur impressionnabilité ; celle-ci se réveillait sous l’influence d’une irritation dangereuse dans la plénitude de la vie, mais utile dans l’état d’engourdissement qui précède la mort. On prétend que l’usage de la fumée de tabac peut préserver de la peste, mais tant de fumeurs ont succombé à ce fléau, qu’il est bien permis de douter de l’efficacité du remède ; cependant on s’en sert dans toutes les salles de dissection comme principe préservateur, excuse que les jeunes gens sont heureux de faire valoir afin de satisfaire librement un goût qui pour eux est devenu un besoin.

Quant aux cas d’empoisonnement par le tabac, ils ne sont pas moins considérables que ceux de guérison ; ils ont seulement le malheureux avantage d’être bien prouvés, tandis que les derniers sont si peu démontrés, qu’on a renoncé à se servir du tabac comme médicament. Santeuil mourut, comme on sait, pour avoir bu un verre de vin dans lequel on avait mis du tabac d’Espagne. En 1839, une jeune femme mourut, après une horrible agonie, pour avoir pris un lavement de tabac ; en 1832, un homme fut, pour la même cause, saisi des douleurs les plus violentes, et, sans des secours bien dirigés, il eût sans doute été victime de son imprudence. Appliqué extérieurement, le tabac est d’un usage moins dangereux, quoiqu’on rapporte plusieurs cas d’affections cutanées où son emploi comme liniment causa la mort. Quant aux accidens attribués à l’action d’une atmosphère chargée des émanations de tabac, et que rapportent Ramazini, Fourcroy, Cadet Gassicourt et d’autres savans, il est probable qu’ils sont supposés, car les ouvriers des manufactures de tabac ne contractent aucune maladie particulière à leur travail, et, s’il faut en croire quelques rapports de médecins attachés aux manufactures royales, ils paraissent même se trouver très bien de l’influence de ces émanations.

Il faut conclure de là que l’emploi médical du tabac n’est dangereux que dans des mains inhabiles, que les accidens déplorables qu’il a causés proviennent uniquement de l’ignorance de ses propriétés, et il est certain qu’appliqué convenablement il pourrait rendre des services efficaces. Mais comme c’est une substance qui se trouve entre les mains de tout le monde, et qu’elle peut devenir très dangereuse, il faut en limiter considérablement les applications médicales, que les malades pourraient trop facilement exagérer.

Cherchons maintenant à apprécier l’influence physiologique et morale que le tabac exerce dans les usages ordinaires. On sait qu’on prend du tabac en fumée par la bouche, en poudre par le nez, en feuilles par la bouche. C’est sans doute comme moyen d’assainissement, et pour éloigner les insectes innombrables qui affligent les pays peu habités, que les sauvages du Nouveau-Monde imaginèrent de bourrer des feuilles sèches de tabac dans des roseaux et d’en aspirer ensuite la fumée pour la répandre autour deux. C’est du moins