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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/224

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que l’on met tant en honneur parmi nous. Le tabac facilite le penchant qu’ont tous les hommes à ne rien faire, en détruisant l’idée du remord, que l’inaction complète ne manque jamais de faire naître. Il dissout les réunions de la famille, d’où les hommes s’échappent pour aller fumer. Voyez les tavernes où l’Allemand, le Flamand, l’Anglais, le Hollandais, vivent sans causer, sans penser, heureux d’être plongés dans une fumée épaisse, qui semble, avec la bière, leur procurer plus de jouissances que ne feraient les épanchemens du coin du feu.

L’usage du tabac en poudre ne remonte pas moins haut que celui du tabac à fumer. On prise soit pour le seul plaisir d’aspirer une matière odorante ; soit aussi pour se procurer une excitation directe et souvent renouvelée. C’est un plaisir facile à se procurer, qui ne demande aucune préparation, qui n’exige aucune perte de temps, et qui ne peut d’ailleurs causer sur l’économie animale une action aussi détériorante que ferait la fumée de tabac. Cet usage, autrefois tout-à-fait général, pour ainsi dire aristocratique, car les cadeaux de tabatières étaient des présens royaux, ne s’étend guère aujourd’hui comparativement à celui du tabac à fumer. Il semble qu’il ait atteint sa limite.

Si les personnes qui font usage du tabac à mâcher mâchaient réellement le tabac, et avalaient la dissolution résultante, ce serait de tous les usages du tabac le plus pernicieux ; mais la chique ne fait que séjourner entre les parois internes des joues et la face externe des dents inférieures, et elle n’a d’action que par l’effet de son séjour dans la bouche, ou par une succion très faible. C’est une habitude réservée aux marins, parce que l’usage de la pipe leur offre trop de difficultés en pleine mer, et que d’ailleurs on ne peut, avec une pipe, paraître sur le gaillard d’arrière, ou pénétrer dans l’intérieur du vaisseau. Elle est prise aussi par les hommes du peuple, parce qu’elle est moins chère que celle de la pipe. Du reste, elle n’est pas moins persistante que les deux autres habitudes, et on ne renonce à aucun des usages du tabac une fois qu’on s’y est adonné avec quelque passion.

La plupart des gouvernemens européens ne tardèrent pas à mettre un impôt sur ce nouveau genre de consommation, dont le succès promit, dès son apparition, un revenu considérable ; mais le gouvernement français comprit le premier quel parti le trésor pouvait en tirer. C’est Richelieu qui, en 1621, fait tarifer à 40 sous le cent pesant la consommation du tabac. La levée de cet impôt resta placée dans les attributions de la ferme-générale jusqu’en 1697. À cette époque, la ferme du tabac fut distraite de la ferme-générale et louée à un particulier moyennant 150,000 livres, et une somme annuelle de 100,000 livres qui devait être payée à la ferme-générale pour abonnement des droits d’entrée, de sortie et de circulation. Le prix du bail s’éleva jusqu’à 4 millions en 1718 ; le bail fut repris alors par la ferme-générale, qui paya pour cette exploitation particulière un loyer toujours croissant, et qui fut porté à 32 millions en 1790. À cette époque, le prix du tabac était à peu près le même qu’aujourd’hui, c’est-à-dire que la ferme le vendait 3 livres 6 sous, et le débi-