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DU MONOPOLE DE L’INDUSTRIE DES TABACS.

douteux que la chance d’un bénéfice de plus de 400 pour 100 aurait donné lieu à d’énormes importations, si la régie n’avait diminué sur nos frontières la différence qui existe entre la valeur réelle et la valeur fictive des tabacs. Elle fait donc vendre dans ces contrées des tabacs de moindre qualité à prix réduits, dits tabacs de cantine. Elle diminue ainsi l’appât offert aux contrebandiers, qui ne laissent pas, du reste, que d’exercer leur industrie malgré cette précaution. Sur les bords du Rhin s’élèvent un grand nombre de fabriques dont tous les produits sont consommés en France. Quant aux tabacs que l’on veut importer en se soumettant à l’impôt, ils sont en très petite quantité à cause des énormes droits auxquels on les assujétit ; on n’importe guère que quelques milliers de cigares de la Havane, qui paient annuellement 90,000 fr. de droit d’entrée.

Néanmoins ce n’est pas sur les frontières seulement que se fait la contrebande du tabac. Les tabacs de cantine sont à des prix qui vont en croissant à mesure que l’on pénètre dans l’intérieur de la France. Ces prix s’élèvent successivement de 1 fr. 50 c. à 2 fr. 15 c., 2 fr. 55 c., 3 fr. 40 c. et 5 fr. 55 c. ; mais, comme il existe encore une différence notable entre les prix des tabacs de cantine de diverses zônes, il se fait une contrebande très active qui a pour objet de transporter ces tabacs d’une ligne à une autre. Cela fait, un changement de vignettes suffit pour donner au nouveau paquet de tabac une valeur bien supérieure à celle qu’il avait d’abord. Cette contrebande est organisée en grand ; ce sont des troupes d’enfants ou des hommes à cheval qui font passer ces tabacs. Comme les lignes sont assez rapprochées pour qu’on puisse souvent les franchir toutes en une nuit, il en résulte que le bénéfice est assez considérable pour couvrir les frais de ce commerce frauduleux. Pour y mettre un frein, on ne permet pas aux débitants de tabac de nos départements limitrophes une provision de plus de 3 kilogrammes de chaque espèce de tabac. En outre, un service de surveillance spéciale, composé de deux cent sept employés, qu’aident d’ailleurs la gendarmerie et les employés des douanes, est chargé de la répression de la fraude dans les départements traversés par les lignes. Les lignes s’étendent à travers les départements suivants : Nord, Pas-de-Calais, Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Ardennes, Doubs, Aisne, Meuse, Meurthe, Vosges, Haute-Saône, Jura, Somme et Ain. On ne peut dire si l’infiltration des tabacs de cantine s’étend beaucoup au-delà de ces départements ; dans tous les cas, cette infiltration remplace celle des tabacs étrangers, qui ne se fait plus que sur l’extrême frontière, et c’est un grand avantage. Du reste, la vente des tabacs de cantine est fort considérable, car elle s’élève à près de 5 millions de kilog., sur lesquels il y a plus de 4 millions de kilog. de tabac à fumer.

Je ne sais si cette vente augmente le chiffre de la consommation individuelle, car, dans les départements où elle est permise, ce chiffre varie de 254 gr. à 1776. Elle doit toutefois augmenter assez fortement la consommation dans le Nord et le Pas-de-Calais. Il est bien entendu qu’il ne s’agit que de la consommation des tabacs de régie, car on n’a aucune donnée sur celle des tabacs