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DU MONOPOLE DE L’INDUSTRIE DES TABACS.

sonne. Si, au lieu de dire constamment à l’industrie : Fabrique, fabrique, le gouvernement intervenait pour prévenir le mal, s’il disait à l’industrie : Ne fabrique que tant, car il ne pourra être consommé que tant ; ne produis que tant, car l’excès de ta production entraînera ta ruine, il ne serait pas réduit à employer des mesures extrêmes qui le mettent dans des embarras d’autant plus cruels, qu’elles en appellent incessamment de plus extrêmes encore, car le plus souvent elles ne remédient point au mal.

On ne peut donc contester l’intervention obligée du gouvernement dans l’industrie particulière. C’est un fait, un fait tardif, il est vrai, qui ne se produit que lorsqu’il n’est plus temps, que lorsqu’il s’agit de réparer un mal presque toujours irréparable. Et quant à la possibilité de l’organisation de conseils destinés à réglementer l’industrie, l’institution des prud’hommes, qui répand partout sa salutaire influence, est là pour la démontrer. Seulement cette institution a encore le même vice radical que nous reprochons à l’intervention du gouvernement dans l’industrie ; elle est destinée à juger les différends qui peuvent se présenter entre les industriels, et non pas à les prévenir. C’est encore un remède au mal déjà fait ; l’intervention se manifeste encore trop tard.

Nous demanderions donc seulement le déplacement de cette intervention. C’est elle seule qui peut arrêter les spéculations effrénées et mettre l’équilibre entre la production et la consommation, en associant, pour ainsi dire, la libre concurrence avec les corporations privilégiées d’autrefois. Les nouvelles corporations élisant le conseil chargé de l’administration générale de chaque industrie n’auront pas d’ailleurs à craindre la surveillance trop gênante du fisc que l’on redoute toujours comme par instinct. Le gouvernement ne doit pas s’immiscer dans les affaires particulières, et les conseils spéciaux de chaque industrie se garderont bien de lui confier les secrets de chacun. Le devoir que le gouvernement a à remplir est surtout un devoir d’admonestation, devoir bien facile avec les immenses ressources que la centralisation a mises entre ses mains. Il doit donner les renseignemens propres à éclairer les industriels, pour que ceux-ci ne s’élancent plus aveuglément dans leurs spéculations, et n’agissent qu’après avoir pu peser sagement leurs actes importans. Le devoir d’admonestation, de sage prévision, est imposé à l’état, quelle que soit d’ailleurs l’organisation de l’industrie, lors même qu’on ne changerait rien à l’anarchie où se trouve plongée la classe des travailleurs. Il est du devoir du gouvernement d’indiquer à tous, industriels ou agriculteurs, pauvres ou riches, petits ou grands, artisans ou artistes, car tous paient sa protection, quelle quantité de travail de toute sorte est nécessaire ; il doit poser la limite du superflu. Ce n’est pas à la remorque de l’industrie que doit se tramer le gouvernement d’une nation, comme le chirurgien à la suite d’une armée pour amputer et panser les blessés le jour de la bataille, comme l’infirmier pour enterrer les morts. La place que nos gouvernans devraient ambitionner n’est pas à la queue, mais bien à la tête ; leur rôle n’est pas