Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/295

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
289
DES INTÉRÊTS FRANÇAIS DANS L’OCÉANIE.

l’Orient et l’Espagne à l’ascendant de son allié, n’eut pas été seulement le plus téméraire des pouvoirs, il en aurait encore été le plus insensé. Il y avait donc certitude morale que les entreprises de l’amiral commandant notre station dans la mer du Sud ne feraient naître aucune complication diplomatique, et que, si des clameurs étaient poussées par certains organes de la presse anglaise et dans quelques meetings religieux, le gouvernement prudent et habile que dirige sir Robert Peel ne s’associerait point à ces violences et à ces injures.

Ce gouvernement poursuit d’ailleurs à cette heure même près de la France des négociations dont l’issue le préoccupe trop vivement pour qu’il se laisse entraîner par les déclamations de quelques énergumènes. Lorsqu’on croit entrevoir la possibilité d’ouvrir enfin le marché français à la fabrique anglaise, lorsqu’on médite et qu’on espère l’asservissement industriel de l’Espagne, on ne se détourne pas de ces grands et hardis desseins pour prêter l’oreille aux cris d’Exeter-Hall, et prendre fait et cause pour le roi Yotété ou la reine Pomaré-Vahine.

Cette conduite mesurée s’explique d’ailleurs par le caractère précaire et peu menaçant de nos futurs établissemens coloniaux, et plus encore peut-être par les négociations auxquelles il est naturel de supposer qu’ont donné lieu des faits antérieurs peu éclaircis jusqu’à ce jour. Disons-en d’abord quelques mots.

On se rappelle qu’aux derniers mois de 1839 de grands projets de colonisation avaient été conçus pour la Nouvelle-Zélande. Le concours du gouvernement français dans cette opération est devenu plus manifeste encore depuis que la récente discussion de la loi des comptes a révélé au public le genre d’assistance donné aux colons embarqués à Nantes et à Bordeaux[1]. C’était une prise de possession qu’on entendait évidemment consommer, c’était un établissement politique et militaire qu’on se proposait de fonder à la presqu’île de Banks.

Mais l’Angleterre savait tout ce que renferme de richesse et d’avenir ce sol fertile et salubre, et ses navigateurs comme ses missionnaires lui avaient depuis long-temps révélé l’importance de cette position maritime. Elle hésita d’abord à prendre possession officielle d’un vaste territoire sur lequel elle ne pouvait faire valoir

  1. Ordonnance royale du 4 janvier 1840, qui attribue six canons avec leurs affûts et une assez grande quantité d’armes et de munitions à la compagnie de la Nouvelle-Zélande.