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vainqueur à Montevideo. Ce sera une restauration accomplie par les armes étrangères. Sa première administration lui avait fait quelque honneur. Elle avait été dure, mais régulière et probe. Aujourd’hui Oribe se présente à ses compatriotes couvert du sang de cette multitude de prisonniers de guerre qu’il a fait égorger dans toutes les provinces de la République Argentine, et comme le complice et l’instrument d’un système que réprouvent la raison et l’humanité. Cependant nous croyons qu’il lui serait impossible de réduire Montevideo à l’état déplorable dans lequel nous avons vu Buenos-Ayres. L’immense population étrangère qui existe à Montevideo, les relations d’affaires qui confondent à chaque instant ses intérêts avec ceux de la population indigène, un mouvement de commerce et de navigation plus actif qu’à Buenos-Ayres, la disposition même des lieux, tout nous porte à espérer que la réaction dont l’état de l’Uruguay et sa capitale sont menacés par le triomphe de Rosas et d’Oribe ne sera pas aussi affreuse que le craignent certaines personnes. Néanmoins il en résultera de grands malheurs pour le pays, et pour le commerce européen un dommage immense, proportionné à l’essor qu’il avait pris sur la rive gauche de la Plata.

En effet, depuis quelques années, le commerce de l’Europe avec Montevideo s’était considérablement accru, et avec lui le revenu de l’état, dont les produits de la douane forment plus des trois quarts. La France avait pris sa grande part de cet accroissement, et le mouvement commercial n’avait pas été ralenti par les conséquences de la levée du blocus de Buenos-Ayres. Comme la guerre ne se faisait pas sur le territoire oriental, la campagne a multiplié ses produits, et, grace à l’émigration européenne, elle n’a pas souffert du manque de bras qui se fait sentir dans les provinces argentines. Mais dans ces derniers temps la situation a changé. La fermeture plus rigoureuse de l’Uruguay, dont Rosas tient la clé par la possession de l’île de Martin-Garcia, a rendu plus difficile et plus cher l’écoulement des fruits du pays (c’est ainsi qu’on appelle sur les deux rives de la Plata, les peaux, suifs, laines, etc.), qui proviennent des établissemens situés sur l’Uruguay ou le Rio-Negro. Maintenant la campagne elle-même est tenue en alarme par l’imminence d’une invasion et d’une guerre destructive ; l’affranchissement des esclaves pour en faire des soldats, les préparatifs de défense, le réarmement des gardes nationales, des emprunts forcés qu’on ne pourra éviter, l’insécurité universelle qui résulte d’une grande crise politique, l’émigration infaillible d’un grand nombre de familles, et surtout des malheureux