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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/338

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REVUE DES DEUX MONDES.

sur le talent, la philosophie spiritualiste, enseignée par un maître éloquent, prônée par des amis dévoués et par des disciples enthousiastes, ne tarda pas à prendre un développement considérable. Cette philosophie devait conduire au sentiment religieux pris dans l’acception la plus large du mot. Aux progrès de ce sentiment contribuaient à la même époque le cours de M. Guizot et les leçons de M. Villemain ; car, en traitant sous différens aspects l’histoire de la civilisation, ces deux illustres professeurs avaient soin de donner toujours un caractère moral à leur enseignement. Toutefois, ce ne fut pas d’abord au profit du christianisme que s’opéra ce premier mouvement des esprits. Ces brillantes leçons remontent à une époque où le clergé, faisant cause commune avec un pouvoir pour lequel la nation éprouvait peu de sympathie, s’opposait au progrès des idées libérales, et, par sa position officielle comme par ses tendances, excitait les méfiances du pays. Il fut donc délaissé, et le sentiment religieux dont il ne savait pas s’emparer se manifesta par diverses tentatives : la plus célèbre fut dirigée par les saint-simoniens. La révolution de 1830 amena un grand changement dans l’état des idées. Après avoir aidé par des conseils irréfléchis à la chute de la branche aînée, le clergé, qui d’abord avait été l’objet de la plus vive animosité populaire, s’effaça peu à peu, et sans se décourager il sut attendre : chose si utile pour quiconque a des projets. Il y eut d’abord quelques hésitations, quelques grandes apostasies, mais bientôt il se forma un parti ultra-religieux, qui adopta une double marche, dont tout le monde a pu observer le progrès. Profitant des divisions du pays, et sentant qu’il ne pouvait se fortifier et prendre racine qu’en s’appuyant à la fois sur le gouvernement et sur l’opposition, il se montra aux conservateurs comme le seul dépositaire de l’ordre et de la discipline, et il leur fit croire que la foi seule pouvait assurer la stabilité du gouvernement de juillet. En même temps, comme toute la protection dont il jouissait sous la restauration n’avait abouti qu’à susciter contre lui l’animadversion universelle, le clergé, naturellement appuyé sur les légitimistes, comprit qu’il pouvait tirer un grand parti de l’opposition en faisant cause commune avec elle, et que ses regrets pour la famille déchue devaient lui mériter les honneurs de la popularité. Il fallait beaucoup de souplesse pour remplir ce double rôle, mais les hommes qui dirigeaient la conduite du clergé n’en étaient pas à leur coup d’essai. Tandis que des ecclésiastiques fort connus proclamaient dans quatre journaux le vote universel, et, sans cacher leurs sympathies pour la branche aînée, s’alliaient publiquement avec les radicaux,