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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

d’autres, placés au sommet de la hiérarchie sacerdotale, déclaraient dans leurs mandemens que tout était perdu, si l’on n’allait pas à la messe, et que les incrédules préparaient à la France un nouveau 93 plus sanglant et plus affreux que le premier. En poussant aux réformes extrêmes, on parvenait à s’assurer le concours des journaux radicaux, à se ménager même à la chambre l’appui tacite et un peu honteux de quelques députés voltairiens dont l’élection avait été décidée par les voix du clergé, tandis que l’on savait imposer sans cesse de nouveaux sacrifices au gouvernement, en montrant la religion et le clergé comme les seuls moyens capables de consolider et d’assurer sa durée.

Dans ce dessein si habilement conçu, ne reconnaissez-vous pas, monsieur, une direction supérieure, peu scrupuleuse dans les moyens, mais allant droit au but, une de ces pensées qui, par un miracle d’astuce, ont pu captiver la confiance de Henri IV après avoir armé d’un poignard la main de Jean Châtel ? Ce n’est pas le véritable clergé français, ferme dans ses croyances, et qui a su si noblement souffrir le martyre pendant la révolution ; ce n’est pas ce clergé qu’on a souvent taxé d’une excessive opiniâtreté, que l’on doit accuser de cette duplicité. Ce ne sont pas les défenseurs des libertés de l’église gallicane qui ont imaginé cette conduite tortueuse ; on doit chercher la source ailleurs. Ce sont, il faut le dire, ce sont les jésuites qui ont formé un tel plan, et qui en dirigent et surveillent l’exécution.

À ce mot, vous allez peut-être vous écrier, monsieur, que je cède à une étrange préoccupation, qu’il n’y a plus de jésuites en France, et que depuis 1830 ils ne se trouvent que dans l’imagination du Constitutionnel. Détrompez-vous, les jésuites existent chez nous, nombreux, puissans, et plus fortement organisés que jamais. Par leurs manœuvres, ils séduisent le clergé, et, quand il fait mine de s’arrêter, ils l’effraient et ils l’entraînent par leurs journaux. S’appuyant d’un côté sur la Belgique, où ils sont tout puissans et qui est leur centre d’action ; en relation suivie avec la Suisse, où ils ont porté le trouble et le désordre ; liés avec le Piémont, où ils dominent ; ne rendant à Rome qu’un hommage apparent, non-seulement ils dirigent les affaires ecclésiastiques de la France, mais ils s’immiscent en toutes choses. Rien ne se fait à Paris sans qu’ils y prennent part : ils cherchent des créatures dans toutes les classes de la société ; tandis qu’ils savent se ménager de très hautes protections, ils descendent dans le peuple, et tentent de s’affilier les ouvriers ; ils s’insinuent dans le bou-