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clergé, une ingratitude et une maladresse : une ingratitude, parce que, si l’on n’avait pas essayé, il y a trente ans, d’établir que, sans être un bigot, on pouvait croire à l’immortalité de l’ame, le clergé, dans la génération actuelle, n’aurait trouvé presque personne qui voulût l’écouter ; une maladresse, car il pourrait bien se faire que, dans quelque temps, l’église, pour se défendre contre le scepticisme, eût besoin d’emprunter à la philosophie spiritualiste les argumens les plus utiles. Du reste, ce ne serait pas là un fait nouveau. Vous n’ignorez pas, monsieur, qu’au commencement du XIIIe siècle la philosophie d’Aristote, qui commençait à pénétrer chez nous, fut condamnée par un concile assemblé à Paris, et que, quelques années plus tard, l’église se faisait des œuvres d’Aristote un rempart contre ses propres ennemis. On sait quel a été au XVIIe siècle le sort du cartésianisme. Défendu par arrêt du parlement, persécuté par les jésuites qui voulaient l’anéantir, il fut, dans le siècle suivant, relevé par ces mêmes jésuites auxquels il fournissait des armes pour combattre la philosophie sensualiste. Quoi qu’il en soit, actuellement le spiritualisme se trouve rudement attaqué. Parmi les plus fougueux antagonistes, il faut citer d’abord M. l’évêque de Chartres, qui a lancé contre cette philosophie des traits innombrables. L’activité de ce prélat est vraiment infatigable. Aux mandemens qui se succèdent sans interruption, aux lettres qu’il adresse aux journaux, à l’ardeur de sa polémique, on croirait en vérité que M. l’évêque de Chartres n’a absolument autre chose à faire dans son diocèse qu’à s’occuper de M. Cousin et de M. Jouffroy. Il s’empare des ouvrages de ses adversaires, il y cherche avec une ardeur extrême quelques phrases hétérodoxes, et, à l’aide de certains mots qu’il interprète à sa manière et dont habituellement il dénature le sens, il accuse les philosophes de prêcher tous les crimes. De pareilles invectives ont lieu d’étonner dans la bouche d’un membre du haut clergé. Une citation fera mieux comprendre la méthode critique de M. l’évêque de Chartres[1].

« Si l’on demande, dit ce prélat en parlant de M. Jouffroy : Puis-je en conscience enlever le bien d’autrui, piller des héritages dont je jouirais avec délices dans ce monde, sans craindre d’ailleurs aucun pouvoir humain ? — Appelez le professeur de l’Université, il vous dira : Je ne veux pas vous donner de vains scrupules, car

  1. Voyez la Seconde Lettre de M. l’évêque de Chartres sur l’enseignement universitaire, datée du 17 mars 1842, et insérée dans les journaux.