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LITTÉRATURE ANGLAISE.

ceaux lyriques, dont quelques-uns sont comparables aux belles odes de Schiller par l’élévation de la pensée et la force du coloris, on sent encore le poète épique qui se trouve gêné par les limites de l’ode, et qui transforme volontiers le sentiment en récit. Les meilleurs ouvrages qu’il laisse après lui sont une Défense de l’église anglicane et une bonne Histoire de la marine anglaise, composée sur le modèle des anciennes chroniques, et pour laquelle la connaissance et l’étude des historiens étrangers, florentins, vénitiens, espagnols et portugais, lui ont été d’une grande ressource. Le style de ce livre est facile, coloré, entremêlé de citations heureuses et de détails pittoresques. Un roman n’a pas plus d’intérêt ; un beau poème n’est pas plus fertile en émotions variées. Son Histoire de la guerre de la Péninsule manque d’exactitude et d’impartialité. Les poèmes épiques de Southey se distinguent par le luxe de l’imagination et la belle disposition des masses. Madoc, Thalaba et Jeanne d’Arc rappellent la manière de Paul Véronèse ; c’est assez dire les grandes qualités qu’on y admire. Mais Southey, qui s’était annoncé comme réformateur du monde poétique et moral, était entré dans un faux système. Pour augmenter l’indépendance du rhythme anglais, déjà trop libre, il avait tenté de le briser et de l’assouplir encore ; de là une poésie sans accent, une prose trop accentuée, prose run mad, comme disait Johnson, une prose folle, quelque chose comme l’Hymne au Soleil, par l’abbé Reyrac, ou comme cette triste parodie de la philosophie et du sublime qui a pour titre les Incas et pour coupable Marmontel. Cet esprit violent, toujours emporté par son ivresse naturelle, brisait les chaînes qui lui eussent été plus nécessaires qu’à tout autre.

Wordsworth, si justement célèbre, et qui a exercé une action si vive sur la littérature de l’Europe, reste debout au milieu des tombeaux de ses amis. On aperçoit encore auprès de lui quelques noms de la génération précédente, Leigh Hunt le journaliste, le poète Robert Wilson d’Édimbourg, et Walter Savage Landor. On peut parler de ce dernier comme d’un mort, tant l’estime qu’on lui accorde est veuve d’éclat et de popularité. Au lieu de chercher la renommée, il paraît la fuir, et il y réussit. Pour s’éloigner plus sûrement des coteries, il vit loin des hommes et de l’Angleterre. Le style moderne lui déplaît, et la publicité l’effarouche. Retiré à Florence après avoir cédé la majeure partie de sa fortune à son fils, il écrit sans s’embarrasser du public, et choisit le style qui doit déplaire le plus à cette foule qu’il méprise. Dans sa jeunesse, Landor a eu