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maille partir avec les journalistes anglais, auxquels il n’a jamais pardonné. Un livre qu’il publie est une voix qui sort de la tombe ; la masse ne s’en occupe pas, trois ou quatre personnes le lisent, et l’œuvre va prendre doucement sa place entre Fuller et Burton, à côté des vieux classiques, dont Landor a tout-à-fait le ton et les allures. C’est ainsi que de son vivant une sorte de réputation posthume l’environne ; on ne le discute pas, personne ne parle de lui, il n’ébranle aucun intérêt actuel. Nul homme n’est moins vivant, et l’on ne peut le juger comme un contemporain. Pour couronner tant de singularités, il est aristocrate par les goûts et radical par les opinions ; enfin, c’est ce que les Anglais appellent un non-descript, quelque chose d’étrange que toutes les classifications repoussent.

Gebir, poème que lord Byron admirait, les Conversations imaginaires, Périclès et Aspasie, l’Interrogatoire de Shakspeare, sont les principales compositions dues à cet esprit sévère et isolé. Comme poète, son inspiration ne manque ni de grace ni de vigueur, mais elle est courte et se soutient peu. Comme prosateur, il se place au premier rang. Rien de plus énergique, de plus vigoureux et de plus austère que son style. Il n’a pas répudié les doctrines de Jean-Jacques, et sa philosophie, mêlée de l’esprit religieux de Milton et des théories libérales de 1825, d’ailleurs arriérée et peu d’accord avec le mouvement des sociétés, a dû nuire considérablement à son crédit.

Il ne suffit plus de crier au peuple qu’il est opprimé, et de déclamer comme l’abbé Raynal. Les dithyrambes contre les tyrans portent en l’air : où sont les tyrans ? La force, en Angleterre et en France surtout, appartient à la bourgeoisie et au peuple. C’est l’organisation de cette force nouvelle qui constitue le problème de la politique ; c’est l’emploi de cette puissance qu’il s’agit de régler. À quoi mèneront aujourd’hui les utopies et les élégies ? À irriter des passions quand il faudrait régulariser des forces, à enflammer des colères stériles chez ceux qu’il faut rappeler au sentiment de leur dignité. Il est dangereux de s’isoler dans un cénotaphe, de s’emprisonner dans sa propre méditation, et de rester toujours en face des abus détruits d’une société détruite. Walter Savage Landor s’est ainsi privé de sa naturelle puissance. Le plus grand malheur d’un homme qui écrit pour ses contemporains, c’est de n’être plus de son temps.

Quelques-unes des petites pièces de vers qu’il a semées dans ses œuvres en prose sont des chefs-d’œuvre, et doivent être placées à côté des perles poétiques qui enrichissent l’écrin de Milton et de Wordsworth, du Tasse et du Guarini. Comme ce poète, très peu lu