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LITTÉRATURE ANGLAISE.

en Angleterre, est encore moins connu en France, nous citerons de lui la pièce suivante, dont l’exquise délicatesse et la naïveté ingénieuse, mêlant habilement les teintes chrétiennes et la pureté des contours helléniques, rappellent à la fois l’Anthologie grecque et le Lycidas de Milton.


LA COQUILLE DU PÉLERIN[1].

Il était midi ; sous une touffe de roses sauvages, un pèlerin détacha sa coquille et voulut s’abreuver de l’eau jaillissante d’une fontaine. C’était une tête de pierre, fruste et usée, la tête de Pan ou de Méduse ; méconnaissable et sans forme, toute rongée par l’orage et les années, elle se perdait sous une chevelure épaisse de mousse et de lichen, qui l’enlaçaient comme la chevelure d’une jeune fille.

Je le regardai, et je dis dans ma pensée : — Qu’il est heureux ! Avec quelle joie sa soif brûlante va s’étancher dans cette eau pure ! — La coquille était petite, des raies concaves en sillonnaient le contour. Lui, de haute stature, il éleva sa coquille au-dessus de sa tête pour recevoir l’eau étincelante au moment où elle jaillissait ; le jet vigoureux rencontre un obstacle, s’y brise, bondit avec plus de force, s’épanche de toutes parts, ruisselle sur le bras et sur le coude du pèlerin, et va mouiller le gazon à ses pieds.

Le pèlerin secoua la tête, s’assit tristement et dit : « Hélas ! que mes désirs sont aujourd’hui peu de chose ! et combien ils sont encore au-dessus de moi ! »

On sait quel parti ingénieusement frivole Fontenelle a su tirer de l’idée de Lucien, qui faisait causer les ombres dans le Tartare en leur conservant les souvenirs de l’existence et la vivacité de leurs passions. Cette fiction usée est devenue sous la plume de l’écrivain anglais quelque chose de neuf et de piquant. Il suppose des conversations réelles entre des personnages qui, pendant leur vie, ont pu se rencontrer et se parler. Bossuet rencontre Mlle de Fontange ; Voltaire, un docteur de Sorbonne ; Élisabeth, Shakspeare ; Henri VIII, Anne de Boleyn. Études de caractère, de mœurs et d’histoire, tableaux achevés dans leur genre, d’un coloris austère, d’une remarquable sobriété, ces trois volumes des Conversations imaginaires[2] prennent déjà leur place parmi les livres modèles du XIXe siècle, the standard-books. Elles n’offrent aucun attrait à la curiosité vulgaire ; point d’incidens, de situations, de mouvemens pour ainsi dire extérieurs. Ce sont des études. On voit que l’auteur, si je peux me servir de cette expression,

  1. THE PILGRIM’S SHELL.
    Under a tuft of eglantines, etc.

  2. Imaginary Conversations, by Walter Savage Landor.