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d’y relever le principe catholique de l’autorité contre le principe du jugement individuel. Bossuet n’est pas plus impérieux ; Tauler n’est pas plus mystique.

Il faut donc se garder de confondre les mouvemens purement littéraires indiqués par le style, le genre et la portée des livres, avec les révolutions intellectuelles qui couvent secrètement dans l’esprit des peuples. Il est évident qu’il s’opère aujourd’hui dans les intelligences anglaises un effort vague contre l’esprit de parti et le cant, effort sourd et secret, encore très peu sensible, mais d’autant plus digne d’être remarqué, qu’il s’étend doucement à la littérature, aux mœurs, aux arts, à la science, à la théologie et à la politique. Les romans même de Dickens, et c’est ce qui fait en partie leur succès, sont remplis de protestations comiques contre le cant et l’affectation de la sévérité puritaine. L’Angleterre commence à se dégoûter de l’hypocrisie convenue, elle ne croit plus guère à ses journaux, et répudierait volontiers le charlatanisme des annonces. La presse quotidienne perd tous les jours de son pouvoir, dont elle a fait litière. Les sentimens et les préjugés contraires à la France s’anéantissent dans les esprits cultivés ; récemment, un des meilleurs recueils périodiques anglais ne craignait pas de faire honte à ses compatriotes et de louer à leurs dépens le libéralisme de nos lois et la sympathie facile de nos mœurs. Le retour à la généralisation des idées, un certain besoin de centre et d’autorité, une lassitude secrète de l’analyse, de la dissidence et peut-être de la liberté, se manifestent d’une manière indécise, mais assez vive.

Ainsi, dans le pays protestant par excellence, on proteste contre le principe de la critique. Dans le pays de la libre pensée, on prête l’oreille aux panégyristes de l’inquisition. Le pays rationaliste écoute le mysticisme du symbole. La bannière catholique est prête à se relever au milieu des adversaires du papisme.

Voilà, pour les penseurs, les curiosités mystérieuses de l’Angleterre actuelle. Elles éclosent à peine, on les voit poindre, toutes timides, à la surface du sol ; mais elles sont pleines de sève, d’avenir, peut-être de terreur. La circulation des livres n’est rien auprès du mouvement des idées.


Philarète Chasles