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que de l’artillerie de montagne ; une armée qui voudrait traîner, ne fût-ce que des pièces de 12, à travers tant d’abîmes, s’exposerait à être détruite ou mise en pleine déroute par quelques milliers de montagnards.

Le seul moyen de dominer ce pays est donc de se créer un parti parmi les indigènes : l’Autriche le sait, et soutient tacitement les spahis ; mais la Russie, plus zélée pour la cause du christianisme, est venue prendre contre les spahis le parti des raïas de Bosnie. Tandis que sa diplomatie à Stambol intervient en leur faveur avec une énergie capable de désespérer le cabinet aulique, des moines quêteurs du mont Athos parcourent les vallées de la Drina, en y chantant les louanges de la Russie, et les moines franciscains envoyés par l’Autriche ne réussissent pas toujours à contrebalancer l’action des caloyers d’Orient. L’Angleterre a été jusqu’ici la seule puissance qui ait songé à faire surveiller toutes ces intrigues politiques cachées sous le froc monacal ; mais l’agent qu’elle avait chargé de cette mission, et qu’elle installa en 1837 comme son vice-consul à Novibazar, était complètement incapable d’un rôle sérieux. Cet homme, un des knèzes de la grande tribu des Vassoïevitj, qui à la faveur d’un vain jeu de mots et d’une traduction arbitraire du mot knèze se faisait appeler prince par les Européens, et affectait des prétentions souveraines, fut chassé par les indigènes en décembre 1838. Depuis lors, l’Europe n’a plus, que nous sachions, d’agent officiel en Bosnie. Cependant Novibazar est un point de transit important ; les Ragusains du XVIIe siècle y avaient un comptoir et une colonie opulente : alors le voyageur Montealbano disait que le fer s’y vendait meilleur marché que dans aucun autre lieu du monde. Avant la circulation des bateaux à vapeur, la Bosnie recueillait les profits d’un commerce d’échanges très considérable entre Trieste et Salonik : quelques légers pyroscaphes lancés sur la Drina rendraient à ce pays les avantages qu’il a momentanément perdus. Il est à regretter que l’anarchie qui y règne ne permette le développement d’aucune industrie autre que celle des forges et des fabriques d’armes. Quelques années de paix suffiraient pour ranimer ce peuple, et les juifs de Saraïevo, de Novibazar, de Travnik, usuriers qui prêtent à 10 pour 100 par mois, se trouveraient bientôt sans clientelle, car les Bosniaques ne sont rien moins qu’apathiques. On les voit, sur tous les points de la Turquie d’Europe, diriger leurs convois de bêtes à cornes, qu’ils vendent aux Anglais et aux Grecs, tandis qu’ils livrent aux Turcs leurs moutons et leurs chèvres.