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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/485

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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Le commerce bosniaque, grace à la nature de ses produits et à la position de ses marchés, pourra difficilement être accaparé par l’Europe. L’Angleterre elle-même ayant échoué dans son plan de se créer un comptoir à Novibazar, quelle autre puissance oserait espérer d’y réussir ? La France ne peut arriver aux Bosniaques qu’en traversant les vallées monténégrines. La question d’influence commerciale et politique en Bosnie se résume ainsi pour nous en question d’influence au Monténégro. Or, l’installation d’un agent accrédité au Monténégro rencontrerait les plus grandes difficultés. La France doit donc renoncer à agir d’une manière officielle et diplomatique dans ces contrées ; mais l’action de notre commerce, si elle s’y étendait jamais, pourrait y devenir d’autant plus irrésistible que la France apparaîtrait aux Bosniaques comme complètement désintéressée, et ne leur enverrait que des messagers de paix et de civilisation. Il faudrait que des hommes indépendans, initiés à l’histoire des factions intestines qui divisent la famille serbe, se proposassent pour but d’amener peu à peu, par la discussion de ses vrais intérêts, cette race à la tolérance complète des trois grands cultes, musulman, grec schismatique et catholique latin, qui, de la Bulgarie jusqu’à l’Adriatique, arment les tribus serbes les unes contre les autres. Une fois que les membres de ces communions diverses se regarderaient comme amis, le pas décisif pour la recomposition de l’unité nationale serait accompli, et ce peuple de guerriers, fort de plus de quatre millions d’hommes, destiné à être, comme la Hongrie, un champ d’asile entre deux mondes politiques et religieux, se lèverait avec toute sa force pour appuyer dans son propre intérêt le vieil empire du croissant, et donner à l’équilibre européen de nouvelles garanties de stabilité.


Cyprien Robert.