Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/490

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
484
REVUE DES DEUX MONDES.

rissent sous le soleil de la Provence, tandis que le sol humide de la Normandie et de la Bretagne ne produit que des céréales et de verts pâturages ; lorsque la présence des bassins houillers et les grandes voies de communication ont concentré presque toute l’industrie manufacturière dans nos provinces de l’est et du nord, pendant que celles de l’ouest et du midi sont restées purement agricoles, il est impossible de ne pas trouver dans cet antagonisme permanent des germes d’embarras, pour ne pas dire de perturbations prochaines. La situation de la propriété, grevée d’une hypothèque de 13 milliards et menacée d’un morcellement indéfini, est connue de tout le monde, et, en exagérant quelques données incontestables d’ailleurs, M. Mauguin n’a rien ôté à la gravité de cette question. L’état de la culture vinicole est d’autant plus sérieux que les palliatifs proposés sont évidemment illusoires, car le mal vient de la concurrence chaque jour croissante des vignobles étrangers, qui restreint les débouchés de notre agriculture, comme les similaires manufacturés restreignent ceux de notre industrie. C’est en présence de ces faits et au milieu des excitations prodiguées sans mesure à l’égoïsme des localités, que va se poser le grand problème qui résume en lui seul toutes les difficultés et tous les périls de notre situation économique.

Répétons-le : ces difficultés et ces périls sont sortis, pour la France, des conditions même de son sol, et, bien plus encore, de l’imprévoyance de ses lois. Pendant vingt ans, on a surexcité de toute manière la production du sucre de betterave ; on ne s’est pas borné à continuer, durant la paix, la politique du blocus continental, on ne s’est pas contenté de départir au sucre indigène une scandaleuse exemption de toute taxe ; on l’a encore admis, jusqu’en 1833, à la jouissance frauduleuse des primes accordées à l’exportation des sucres raffinés. Les chambres en étaient là lorsqu’on s’est enfin aperçu un jour, en s’éveillant comme en sursaut, que la coexistence des deux sucres soulevait de grandes difficultés. Mais par quel côté a-t-on d’abord envisagé cette affaire ? Il faut bien le rappeler, par le plus étroit de tous, par le côté purement fiscal. On a vu que l’affranchissement d’impôts accordé au sucre indigène diminuait notablement, et d’année en année, les revenus du trésor et dans les premières combinaisons ministérielles on s’est exclusivement préoccupé du soin de remédier à cet inconvénient, grave sans doute, mais secondaire. Aucun effort sérieux n’a été tenté pour équilibrer les deux productions, pour les préparer l’une et l’autre à un régime d’égalité et de droit commun, et c’est lentement et à grand’peine que le double intérêt maritime et agricole, engagé dans ce débat, a paru se révéler aux yeux du gouvernement, de la législature et du pays. Aussi aucun principe large et fécond n’a-t-il été proclamé, et l’on s’est traîné d’expédiens en expédiens. Après avoir parlé d’abord d’un droit illusoire de 5 fr. par quintal métrique sur la sucrerie indigène, on a voté soudain, en 1837, l’impôt de 16 fr. 50 c., lorsque la veille encore on paraissait disposé à procéder par voie de dégrèvement ; puis advenant la crise de 1838, amenée par la coïncidence de deux récoltes abon-