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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/491

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REVUE. — CHRONIQUE.

dantes, on a dû, faute de pouvoir déterminer la chambre à s’occuper de la question, procéder par voie d’ordonnance, et un dégrèvement de 13 fr. 50 c. est venu réduire à 19 fr. 50 c. par hectolitre le privilége du sucre indigène sur le marché national. Mais les plaintes ne cessèrent pas plus que les embarras. À partir de cette époque, une lutte à mort s’engagea, tout au contraire, entre nos colonies et notre industrie sucrière, et, après tant d’années d’indifférence et d’irréflexion, deux systèmes absolus se produisirent pour la première fois. Les uns déclarèrent solennellement qu’il n’était plus d’autre moyen de sauver la fortune de nos compatriotes d’outre-mer, et avec elle la navigation et la puissance maritime de la France, que d’anéantir par l’interdiction de culture la plante maudite, si long-temps célébrée comme une des plus heureuses conquêtes de l’empire ; les autres, dans l’intérêt de l’agriculture et de la grandeur continentale de la France, provoquèrent, par l’organe du rapporteur de la commission de 1840, une sorte d’arrêt de mort contre ces petites îles, aux habitans desquelles l’honorable général Bugeaud avait tant de peine à concéder le titre de Français parce qu’ils ne tiraient pas à la conscription.

Mais c’étaient là d’héroïques et tardifs moyens, qui n’allaient ni au tempérament des chambres et du pays ni aux embarras politiques du pouvoir, moyens inefficaces d’ailleurs, malgré leur témérité. Ce n’est pas chose aussi facile que peuvent le croire quelques agronomes du nord que d’anéantir ces chétifs îlots qui ont l’audace d’aspirer au droit commun et de trouver mauvais que deux produits nationaux ne soient pas placés sur un pied d’égalité. Ce n’est pas un acte sans importance, comme le croit M. de Dombasle, que de rompre brusquement, en prononçant l’émancipation commerciale des colonies, des relations qui assurent à notre industrie manufacturière et à nos ports une masse d’opérations de près de 100 millions de francs. D’un autre côté, il n’est guère plus aisé, même au prix d’un détestable précédent et du dangereux principe de l’indemnité, d’anéantir une culture que tout le continent européen s’approprie aujourd’hui comme un instrument de richesse et d’indépendance commerciale, culture que l’opinion publique entoure d’une grande faveur, et qui est désormais assez puissante dans le parlement pour obtenir de prime-abord une majorité assurée au sein de toutes les commissions des sucres. Le ministère du 1er mars comprit qu’en une telle situation une transaction seule était possible, et, s’appuyant sur des calculs spécieux, sans doute, mais hypothétiques, il crut avoir équilibré les deux productions selon les prix de revient en France et aux Antilles, en frappant l’une d’un droit de 27 fr. 50 c., et l’autre d’un droit de 49 fr. 50 c., décime compris.

Il était facile de prévoir que des causes analogues à celles qui avaient déterminé la première crise en amèneraient bientôt une autre. À ces causes antérieures et permanentes est venu se joindre un élément nouveau, l’introduction d’une masse assez considérable de sucre étranger, contre lequel la surtaxe actuelle ne suffit pas pour défendre le marché français. L’admission de ce troisième concurrent pour terminer la querelle des deux autres ne rap-