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LES DEUX RIVES DE LA PLATA.

adorer tous les caprices d’un immense orgueil enhardi par les faveurs de la fortune. Aussi le nom d’unitaires, donné aux ennemis du général Rosas, comme celui de fédéraux donné à ses partisans, n’est-il plus qu’un non-sens. Le parti contraire à Rosas réunit des débris de toutes les factions, comme d’autres débris des mêmes factions se groupent autour de Rosas. Les principes ne sont pour rien dans la querelle ; c’est une lutte d’hommes et d’intérêts individuels. Cependant les ennemis de Rosas se rattachent en général à l’ancien parti de la civilisation, au parti qui a toujours favorisé les relations avec l’Europe, qui appelait l’émigration européenne en Amérique et qui ménageait l’opinion publique du monde civilisé, tandis que Rosas et les siens, tout aussi ennemis que leurs adversaires de la domination espagnole, en auraient néanmoins voulu conserver les traditions et les formes au profit de gouvernans américains, se défient de toute importation étrangère, repoussent les mœurs et les idées de l’Europe, n’aiment ni ne comprennent la civilisation, et, soit par calcul politique, soit par grossièreté de nature, tendent à maintenir leurs compatriotes dans l’ignorance et l’abrutissement. Le premier de ces deux partis vaut donc mieux que le second, au moins comme tendance, quelles que soient d’ailleurs les fautes, l’incapacité ou l’immoralité de ceux qui se trouvent à sa tête. Mais ce n’est pas à dire pour cela qu’il n’abusât pas de sa victoire, si jamais il parvenait à détrôner Rosas, et, aussi loin que notre faible vue peut s’étendre, nous n’apercevons que des chances de désolation et d’anarchie pour ces malheureuses contrées, soit dans le triomphe des fédéraux, soit dans celui d’un parti qui a été trop maltraité pour n’avoir pas de grandes vengeances à exercer.

La ville et la province de Buenos-Ayres, ainsi que tout le territoire de la soi-disant Confédération Argentine, ont considérablement souffert de ces crises. Nous avons parlé de l’état de la ville ; celui de la campagne n’est pas moins déplorable. Mais la province de Buenos-Ayres a d’immenses ressources dans la facilité et la rapidité avec lesquelles se reproduisent les troupeaux, qui lui fournissent presque tous ses moyens d’échange. Un pays peuplé, cultivé, couvert de grandes fermes, d’établissemens industriels, et qui serait soumis à une pareille épreuve, ne s’en remettrait pas de vingt ans. À Buenos-Ayres, il n’en faudrait pas cinq pour réparer les pertes matérielles que la province a subies. Mais, si Rosas se maintient au pouvoir et ne modifie pas son système, le pays continuera à s’appauvrir. L’in-