Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
REVUE DES DEUX MONDES.

si sa fortune le lui permettait, ou même s’il le pouvait faire librement et sans compromettre à la fois sa vie et sa famille. De tous ceux qui ont gouverné, illustré et défendu autrefois la République Argentine, il en reste bien peu à Buenos-Ayres : M. Rivadavia vit obscur et pauvre à Rio-Janeiro ; le général Las Heras est au Chili, le général Rodriguez à Montevideo, ainsi que l’honnête et probe général Viamont ; le général San-Martin s’est retiré en France ; tous les pays voisins de Buenos-Ayres, le Brésil, la Bande Orientale, la Bolivie et le Chili, sont pleins de réfugiés argentins de tous les partis qui ont successivement occupé le pouvoir dans les provinces de la Plata, et l’on ne peut pas comprendre qu’une si faible population ait fait, en si peu de temps, une telle consommation d’hommes dans toutes les carrières publiques, et même de simples citoyens.

Buenos-Ayres a connu des temps meilleurs, et mérite assurément un autre sort ; mais cette malheureuse population porte la peine de la résistance qu’elle a opposée à l’organisation d’un gouvernement régulier. Dès le lendemain de sa séparation d’avec la métropole, toutes les ambitions, toutes les passions, toutes les rivalités individuelles, se sont donné libre carrière, et personne n’a été assez fort pour vaincre ces habitudes anarchiques. Provinces, villes, généraux, tout le monde s’est fait centre ; l’insubordination, la corruption et le parjure dans les chefs, favorisés par la mobilité ordinaire des masses, sur lesquelles ne pesait plus la puissance métropolitaine, ont sans cesse neutralisé les efforts et détruit l’œuvre éphémère de quelques hommes de bien qui auraient pu constituer la république, mais qui eux-mêmes avaient une trop haute idée de l’aptitude de leurs compatriotes à recevoir les institutions des États-Unis, institutions aujourd’hui pesées, et trouvées trop légères. Ceux qui souffrent maintenant des excès d’un despotisme, inconnu jusqu’alors à Buenos-Ayres, les exilés, les proscrits, ceux qui ont succombé les armes à la main contre Rosas, ne sont pas tous innocens de leur propre malheur, et Rosas semble avoir été choisi pour châtier bien des crimes politiques. Seulement il ne faudrait pas que ce fût par des crimes plus grands encore, qui appelleront à leur tour de sanglantes représailles. Chose remarquable, cette punition s’étend à des hommes qui, soit aveuglement, soit passion, ont contribué à élever le général Rosas au pouvoir suprême, et qui, par la suite, ont trouvé en lui un maître jaloux de sa puissance, aussi terrible pour des ennemis déclarés que pour d’anciens partisans attiédis, et résolu à faire