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VOYAGE AUTOUR DU MONDE.

d’un demi-mètre au-dessus du sol, de l’autre un canapé et quelques chaises, voilà à quoi se réduisait le luxe de la résidence royale. Sur le divan se tenaient le roi, la reine, la sœur du roi, les princesses, les gouverneurs et les grands officiers. Toutes les dames de la cour étaient couchées à plat ventre sur les nattes, et ne changèrent pas de position tant que dura l’entrevue. Les capitaines et les résidens s’assirent sur les chaises et le canapé.

La conférence s’ouvrit : la sœur du roi s’était placée derrière son frère, de manière à pouvoir lui dicter les réponses qu’il devait faire, et le missionnaire Bingham, assis auprès de la sœur du roi, lui suggérait à son tour ce qu’elle avait à dire. On ne pouvait pas jouer plus ouvertement la comédie. Le capitaine du Petit-Thouars demanda au roi pourquoi il avait traité M. Bachelot d’une manière si inhumaine, à quoi Kaui-Keaouli répondit qu’il n’avait fait que maintenir un décret rendu pendant sa minorité ; puis il ajouta que les missionnaires américains ayant les premiers porté la civilisation dans ce groupe, il était juste de les laisser jouir des fruits de leur œuvre, à l’exclusion de toutes les autres sectes. La discussion, portée sur ce terrain, embarrassait le commandant ; il n’avait pas d’instructions à ce sujet, et craignait d’engager son gouvernement dans une querelle religieuse. De là un échange de pourparlers qui n’amena aucun résultat dans le cours de la première audience. Avant de renvoyer les conférences au lendemain, M. du Petit-Thouars remit au roi une note que celui-ci repoussa d’abord, et qu’il ne reçut ensuite qu’avec un sentiment de frayeur mal déguisé. Enfin, le jour suivant, les choses s’arrangèrent. Le roi consentit à autoriser le séjour de M. Bachelot à Honoloulou, jusqu’à ce qu’il trouvât l’occasion de s’embarquer, et, de son côté, M. du Petit-Thouars se rendit garant que le missionnaire catholique ne chercherait pas de vains prétextes pour reculer indéfiniment son départ. Par un dernier accord, il fut entendu que désormais les sujets français seraient traités aux Sandwich sur le pied de la nation la plus favorisée, et qu’un égal avantage était acquis à ceux des indigènes qui voudraient visiter la France.

Évidemment, en tout ceci, M. du Petit-Thouars avait pris beaucoup trop au sérieux cette royauté sauvage ; il ne s’était pas ménagé assez de garanties et eut mieux fait de mener les choses plus militairement. Les évènemens le prouvèrent. Quatre mois après le passage de la Vénus, M. Bachelot, alors malade, et l’un de ses confrères, M. Maigret, qui était venu des îles Gambier pour l’assister dans son pieux ministère, furent transportés de vive force à bord d’une