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indigènes quelques communications à la voile, et dès l’abord il fut facile de voir que, dans leur contact avec les baleiniers, ces peuples avaient perdu presque toute l’originalité de leur caractère. Plusieurs d’entre eux parlaient un fort mauvais anglais, et montraient, avec un certain orgueil, des certificats qui leur avaient été délivrés par des capitaines marchands. Rien n’est plus hideux que la nudité à demi cachée sous des guenilles ; mieux vaut le sauvage que cette espèce de demi-civilisé. Déjà l’on peut juger quels ravages a faits parmi eux l’influence de maladies que les navigateurs y ont importées ; presque tous les naturels qui parurent le long de la Vénus étaient couverts de tumeurs scrofuleuses et d’ulcères d’un aspect repoussant. Cette première impression n’était pas à l’avantage des îles Marquises, et ne justifiait guère le nom que Mindana leur a donné, il y a près de trois siècles.

La frégate ne fit que passer devant les îles Hood, San-Pedro et la Dominica. Près de cette dernière île, des pirogues vinrent encore accoster le bâtiment pour offrir aux équipages, suivant l’usage polynésien, des provisions et de jolies femmes. Ces insulaires avaient à peine un vêtement complet entre eux tous ; l’un portait un fragment de chemise, l’autre un méchant pantalon, celui-ci une casquette ; celui-ci une veste, quelques-uns une cravate, d’autres enfin le maro, l’indispensable vêtement. Sur la frégate se trouvaient deux missionnaires catholiques, MM. Devaux et Borghella, qui se rendaient aux Marquises avec l’intention de s’y fixer. Les naturels offrirent de les conduire sur l’île Dominica, la plus importante et la plus fertile de l’archipel. Il y eut chez les deux prêtres un instant d’hésitation ; mais ils pensèrent qu’il valait mieux suivre la frégate jusqu’au mouillage, afin de profiter de l’ascendant qu’exercerait notre pavillon sur les tribus voisines. On cingla donc vers la baie de Madre-de-Dios, sur l’île Christina ou Tahou-Ata, et à l’aide de deux pilotes anglais, Robinson et Tom Collins, la Vénus y laissa tomber l’ancre le jour suivant. À peine les premières dispositions étaient-elles prises que l’on vit arriver le roi. Il se nommait Youtati ou Yotété. C’était un vrai sauvage, presque noir, nu et tatoué des pieds à la tête, d’une taille colossale. Les guerriers qui l’accompagnaient étaient, comme lui, tatoués à plusieurs couches, et ne lui cédaient en rien pour la puissance des formes. Yotété se présenta d’une manière fort naturelle et comme un homme habitué au commerce des Européens. La frégate parut l’intéresser beaucoup, et, quand on lui annonça qu’il serait honoré à son départ d’un salut de quatre coups de canon, il