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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/579

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VOYAGE AUTOUR DU MONDE.

bras de mer poissonneux, et cette guerre dure de temps immémorial. Mindana en fut témoin en 1595, Porter en 1813, Waldegrave en 1830. On s’est toujours battu aux îles Marquises, et, sans la France, la lutte n’état pas près de finir. Le régime de ces tribus, c’est une anarchie complète. Elles ont des chefs et des grands chefs, les premiers investis d’un titre héréditaire, les seconds élevés à cette dignité par leurs services. Plus d’une fois on a expliqué dans ce recueil ce que c’est que le tabou, loi d’interdiction qui gouverne les peuplades polynésiennes. Le tabou se retrouve aux îles Marquises ; les chefs n’ont pas d’autre pouvoir. Ils sont à peine obéis quand ils conduisent leurs hommes au combat : aussi s’occupent-ils moins à diriger l’action qu’à faire preuve de bravoure personnelle. Le grand but de la guerre est de faire des prisonniers afin de les rôtir et de les dévorer. S’il n’en tombe qu’un entre les mains du vainqueur, on l’offre en sacrifice au dieu, puis on le dépèce ; si le nombre des captifs est grand, un festin solennel couronne le triomphe et le complète.

Les îles Marquises n’offrent pas des ressources très variées sous le rapport de la subsistance. L’aliment principal est le poï-poï, préparation fermentée que l’on obtient avec le fruit de l’arbre à pain, le taro (arum esculentum), les patates, les ignames, les cocos et les bananes. Le poisson est fort abondant, et le cochon se multiplie, tant à l’état domestique qu’à l’état sauvage. D’ailleurs, nulle industrie et nulle activité. Une indolence apathique règne parmi ces insulaires ; la culture est négligée, et à peine ont-ils l’énergie nécessaire pour songer au soin de leur nourriture. De là une dépopulation graduelle que la guerre empire chaque jour et un abâtardissement très sensible dans la race. Aussi, pour se tenir dans un chiffre sérieux, ne doit-on pas élever à plus de quinze mille le nombre des naturels qui peuplent l’archipel. Les hommes paraissent conserver mieux que les femmes la vigueur et la beauté des formes que les premiers navigateurs attribuaient à cette race, mais chaque jour les avantages du type s’effacent en même temps que le nombre décroît. C’est là d’ailleurs un fait général pour toutes les îles de l’océan Pacifique que la civilisation européenne a visitées. Partout elle a été funeste, partout elle a fait des ravages. Les îles Sandwich n’ont pas aujourd’hui le quart de la population qu’elles nourrissaient lors de la découverte ; les îles de la Société n’ont plus que huit mille ames, au lieu des cent cinquante mille que Cook y comptait. Jamais destruction plus rapide ne fut opérée en moins de temps. On dirait qu’une loi fatale fait peu à peu disparaître de la surface du globe les peuples enfans pour les remplacer