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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/588

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REVUE DES DEUX MONDES.

princes auxquels ils délèguent le pouvoir sont des hommes habitués au commandement et qui l’exercent d’une manière sérieuse. Ils ont une milice, une clientelle, une fortune qui sert de garantie ; souvent même, ils fournissent des otages. Dans l’archipel de la Société, on ne voit rien de pareil. En premier lieu, partager le pouvoir sur un territoire aussi étroit, est-ce possible ? Ensuite quelles garanties se promettre de ces chefs sans autorité, de cette reine sans conduite, de cette cour qui ne songe qu’au plaisir et qui ne connaît pas la valeur d’un engagement ? Évidemment tout régime mixte sera impuissant, fâcheux, sujet à d’interminables conflits. Ce que fera l’autorité médiate, l’autorité immédiate le défera. De deux choses l’une, ou l’action du protectorat absorbera celle du gouvernement, et alors il est inutile de maintenir un mensonge, ou l’action du gouvernement balancera celle du protectorat, et il y aura lutte, rivalité, anarchie. Il est difficile d’échapper à ce dilemme, et sur les lieux il aura une force telle que l’occupation directe et entière en sera avant peu la conséquence obligée.

La tâche est assez rude d’ailleurs pour qu’on évite de la compliquer par des difficultés de forme. L’archipel de la Société est peuplé d’une race indolente qu’il faut assouplir au travail, à qui les dérèglemens de tout genre sont familiers, et qu’il faut ramener à des mœurs moins dissolues, à qui manquent l’esprit de suite, le sentiment du devoir, et qu’il faut rendre à ces bons instincts. Comment entreprendre ces réformes, si l’on n’a pas un point d’appui solide, et si l’on est préoccupé de questions de compétence et d’attributions ?

On l’a vu, aux îles Marquises comme aux îles de la Société, la dépopulation suit une marche rapide. Voici plus de trente ans que les missionnaires ont pris dans ce dernier archipel une position presque souveraine, et, loin d’arrêter ce symptôme fâcheux, ils l’ont aggravé par des interdictions ridicules et nuisibles. C’est là le premier mal à combattre ; sous l’empire des lois actuelles, la Polynésie ne serait bientôt plus qu’une suite d’îles désertes. Aux Marquises et dans le groupe de la Société, il faut mettre le mariage en honneur, réprimer la prostitution précoce et l’infanticide, qui y est habituel. Les menaces, les rigueurs déployées par les missionnaires n’ont pas suffi pour amener ce retour à la vie de famille ; d’autres moyens seront plus efficaces, et peut-être conviendra-t-il de prendre cette race par l’intérêt, par les jouissances de l’épargne, par les raffinemens de la civilisation. C’est une étude à faire sur les lieux, mais elle est urgente, elle