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En un mot, le public avait le désir du simple et comme le regret du naturel. Au lieu de répondre à ces instincts des lecteurs, au lieu de céder à temps à ce dégoût du bizarre, à ce désenchantement de l’extraordinaire, qui éclataient de toutes parts, on a résisté, on a outré encore les moyens factices qui donnaient la victoire hier, qui font la défaite aujourd’hui. Plus que jamais on a entassé les combinaisons étranges, on a compliqué l’action et comme égaré les personnages dans ces trames interminables qui semblent indiquer ou l’absence ou la fatigue absolue de l’imagination ; plus que jamais la main du peintre a prodigué les contours difformes, les tons faux et chargés ; on a fini par verser la palette sur le tableau. Ce procédé est plus commode, et surtout il est plus prompt, ce qui ne laisse pas d’avoir son avantage, quand il faut jeter chaque jour les lambeaux de son œuvre comme une pâture au feuilleton. Le feuilleton fut une sorte de panacée dernière, de remède in extremis pour le roman aux abois. On servit en morceaux au public ce qu’il avait rejeté en bloc, et le public (cette comédie pouvait-elle durer ?) parut se laisser prendre. Cependant il s’aperçut bientôt qu’on le traitait sans gêne : il ne voulait plus de romans industriels ; ces romans se glissèrent jusqu’à lui sous le couvert du journal, et il lui fallut les retrouver encore, ici enflés en volumes dans les cabinets de lecture, là découpés en actes de mélodrames sur les scènes du boulevard ; il lui fallut les subir enfin imagés et illustrés, sous toutes ces formes puériles où se complaît et s’épuise l’aveugle concurrence des éditeurs. C’était à lasser la plus robuste patience, et, on le sait, ce n’est point là précisément la qualité distinctive du public français.

Il est arrivé ainsi que le roman, ce cadre charmant qui correspondait si bien à tous nos penchans littéraires, s’est compromis de plus en plus aux yeux de ceux qui lisent, et qu’à cette heure il tend à devenir un genre secondaire, si des mains, propices et jeunes, si à leur tour les maître de l’art contemporain, réfugiés dans un silence fatal, ne lui rendent bientôt son rang et sa vraie place. Il faut pour cela que non-seulement le roman se dégage des honteuses entraves de la spéculation et de l’atelier, mais qu’il revienne à être une peinture vraie de la vie, mise en œuvre par l’imagination. Or, cette condition essentielle manque chaque jour davantage aux écrits des romanciers de profession.

En serions-nous donc arrivés à ces tristes âges où l’on écrit par habitude, par état, et non plus pour satisfaire à un besoin du cœur, où la poésie n’est plus un écho et comme une traduction éloquente