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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/593

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LE ROMAN DANS LE MONDE.

seulement reste à vider, c’est de savoir si le public, un instant leurré, est resté de la partie. Il faudrait être bien aveugle pour ne point s’apercevoir du dégoût presque universel qu’ont suscité tant de maladives productions, du discrédit marqué dans lequel tombe de plus en plus la littérature du jour.

Mais suffit-il à la critique de signaler ce qui meurt, de montrer cette décrépitude précoce et significative comme le châtiment mérité de tant d’excès intellectuels ? Il semble qu’une tâche plus douce lui soit assignée en même temps, une tâche que la fréquence assurément ne rend pas importune. Au milieu de la lassitude générale, et comme contraste à tant de débordemens divers, quelques symptômes heureux se manifestent ça et là, qu’il importe d’accueillir et de mettre en lumière. Ce n’est pas seulement dans la jeune littérature militante que se sont récemment produites des tentatives curieuses, et qu’un mouvement, dont on ne saurait prévoir les conséquences, commence à éclater en des œuvres qui peuvent ne pas atteindre à la perfection, mais qui ont au moins l’idéal généreux de l’amour de l’art. Sur une scène moins bruyante, dans les salons (et le public en doit tenir compte, puisque ce n’est là, après tout, que l’élite même du public), on aurait à noter tout un retour vers les choses littéraires, toute une réaction de bon goût et qui ne tire vengeance des retentissantes prétentions d’à présent que par des essais calmes, sobres, vraiment distingués. Ainsi ont pris naissance plus d’un roman agréable, plus d’un récit digne du regard, et qui, de la lumière discrète du foyer, pourraient passer, sans trop y perdre, à l’éclat de la publicité. Sans doute les gens du monde ont toujours plus ou moins écrit, sans doute il y a toujours eu une littérature en quelque sorte inédite. L’art n’est-il pas, après tout, la plus noble des distractions, un but donné aux loisirs, un refuge toujours prêt contre les tristesses ? Mais pourquoi, quand cette littérature élégante n’est d’ordinaire qu’un écho, souvent affaibli, de la littérature courante et active, se présente-t-elle aujourd’hui avec un autre caractère, avec le caractère d’une protestation par le contraste ?

Cela tient à bien des causes, la plupart tristes, où les personnes même sont trop souvent mêlées pour qu’on y insiste ; cela tient surtout à la persistance fatale des écrivains d’imagination, qui, malgré les avertissemens de la société, se sont obstinés dans des routes où la foule a de plus en plus cessé de les suivre. Chacun était fatigué de tels déportemens de toute sorte, de ce dévergondage des idées, traduit ici par une forme tourmentée, là par un style à peine suffisant.