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certaine pudeur qu’elle apportent dans l’art, maintenir son autorité au bon goût, et corriger à propos les âpretés par la politesse, les exagérations par la convenance. Si jamais cette bienfaisante influence a semblé plus particulièrement désirable, si l’on a invoqué à bon droit ce sceptre qui ne pèse pas, si l’esprit poétique enfin a eu besoin de s’abreuver à ces sources épurées et d’en retenir la salutaire fraîcheur, c’est assurément aujourd’hui.

Par là, nous ne voulons pas dire le moins du monde qu’une révolution littéraire se prépare, dans les salons, qui va ouvrir à l’art des horizons nouveaux. En réalité, c’est quelque chose de beaucoup plus simple et où la prétention n’entre pour rien. Que s’est-il passé depuis quelques années ? N’a-t-on pas vu (et on ne saurait trop le déplorer), par dégoût, par découragement, les voix aimées se taire, les maîtres se réfugier dans le silence ? Partout, au lieu de combattre, on a attendu. C’est ainsi que l’arène est restée ouverte aux ambitions sans frein de ces écrivains bruyans qui ont mis peu à peu leur imagination en coupe réglée, et qui en sont venus à calculer les produits de leur intelligence, comme s’il s’agissait d’une usine ou d’une banque. Eh bien ! voilà qu’un fait nouveau se produit, un fait qu’il importe d’enregistrer, car il en sortira peut-être une situation nouvelle. Aujourd’hui, la curiosité du public est saturée, et cette attention que le monde avait laissé se détourner un moment sur tant de compositions convulsives, il est prêt à la rendre sans partage aux représentans véritables de l’art contemporain. Maintenant il suffit aux maîtres de vouloir. Nous en avons pour garant le goût chaque jour plus vif des salons pour ce qui est simple et de bon aloi, nous en avons pour gage les essais littéraires auxquels se complaisent les personnes du monde, simples essais qui ressemblent fort peu aux tristes épopées des feuilletons, et qui montrent qu’on a retrouvé la pente du franc et du naturel.

Les lectures de cet hiver auraient convaincu les plus incrédules. Il n’y avait point là en effet la plus petite tradition de ces fatuités des grands seigneurs d’autrefois, qui voulaient bien condescendre aux lettres et déroger jusqu’à l’Académie. La première marque au contraire de ce retour, de ce goût nouveau, qui sont de plus en plus manifestes dans la haute société parisienne, c’est sans aucun doute la sincérité. On se trouve charmé et ému par des histoires que le cœur seul a dictées, et l’on ressent, dans ces confidences des heures de loisir, quelque chose des jouissances pures que donnent les lettres cultivées pour elles-mêmes. Plus d’un ensuite s’en retourne im-