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d’un peuple tout catholique, méprisés et honnis, ils n’en restent pas moins attachés à ce sol qui est devenu pour eux comme une autre patrie, à ces campagnes qu’ils pressurent par leurs ruses et leur instinct de lucre. Dans les villes, ils attendent le voyageur à la porte des hôtels, et le poursuivent de leurs offres de service. Dans les villages, ils exercent divers métiers. Ailleurs ils afferment des cabarets, et malheur à la communauté où ils viennent s’établir avec le monopole d’un débit d’eau-de-vie ! Ils démoralisent, ils ruinent les paysans en excitant leur penchant à l’ivrognerie, en leur donnant à crédit les boissons pernicieuses qu’ils se font ensuite chèrement payer. Quelques seigneurs indolens ont eu parfois la fatale pensée de leur abandonner, moyennant une redevance annuelle, la gérance de leurs terres, et ces terres ont été bientôt desséchées, appauvries, et ceux qui les cultivaient écrasés de dettes et ruinés. Il y a des villages où, par suite de ce trafic incessant, de ces crédits funestes, meubles et maisons, tout est engagé aux juifs. Que dis-je ? On cite même des paroisses où ils ont mis une hypothèque sur les fonts de baptême, où un enfant ne peut recevoir le premier sacrement du christianisme que par leur permission.

Le travail de la terre leur semble indigne d’eux. La profession d’artisan ne les flatte que médiocrement. Le commerce est leur œuvre de prédilection, leur élément, leur orgueil. C’est en se livrant au commerce qu’ils déploient toutes les ressources de leur esprit ingénieux et rusé et toute leur activité. Ceux qui ne sont pas assez riches pour tenter quelque spéculation importante, se dévouent volontiers à un trafic de hasard plutôt que d’entreprendre une tâche régulière qui leur donnerait une existence assurée. Sur les frontières, ils font intrépidement la contrebande. Dans l’intérieur, ils vendent ou achètent tout ce qui se présente, aujourd’hui des meubles, demain une pièce de bétail, un autre jour de vieux habits, n’importe, pourvu qu’ils troquent leur argent ou leurs denrées avec l’espoir de gagner seulement quelques kopeks, c’est leur destin, c’est leur vie. J’en ai rencontré plusieurs dans les rues de Varsovie qui rôdaient du matin au soir portant sous le bras une vieille paire de bottes ou une robe de chambre qu’ils offraient à tout venant. S’ils parvenaient à s’en défaire, on les voyait reparaître le lendemain avec une timbale en argent ou une méchante cassette en bois ciselée, et si un passant réclamait leur office, ils étaient prêts aussitôt à lui servir de commissionnaires et de valets de place.

Ces juifs n’ont point pris, comme ceux de France et d’Allemagne, le costume de la population au milieu de laquelle ils vivent. Les hommes portent la longue barbe, le cafetan noir noué sur les flancs par une ceinture de la même couleur, des culottes et des bottes. Leur tête est rasée tout entière, ils ne laissent croître que deux mèches de cheveux vers les tempes, qui leur retombent sur les joues et se rejoignent à leur barbe. Sur leur crâne nu, ils ont une calotte noire, et sur cette calotte un chapeau à larges bords ou un bonnet en drap entouré d’un énorme bandeau de peau de loup ou de renard. Les femmes portent sur la tête un mouchoir plissé en forme de turban.