avec une merveilleuse satisfaction d’elle-même ; « Je suis venue pauvre dans ce pays, mais je lui laisse deux trésors, la Crimée et la Pologne. » Parmi les taches qui souillent l’histoire moderne, il en est deux surtout qu’on s’indigne de voir : l’oppression de l’Irlande par l’Angleterre et le partage de la Pologne. L’homme ne peut que flétrir ces monstrueux abus de la force ; Dieu, il faut l’espérer, les vengera.
À mesure qu’on s’avance vers le centre de la Pologne, la route devient plus animée, le pays plus riche et plus peuplé. Bientôt les chênes majestueux succèdent aux bouleaux chétifs ; les épis d’orge et de blé, l’herbe des prairies, couvrent la surface du sol ; des collines ondulantes, des bois mélangés de diverses nuances de verdure, donnent à tout instant au paysage un caractère nouveau, un aspect pittoresque. Par malheur, en même temps que cette Pologne s’offrait à nous si féconde et si belle, il fallait en voir les plaies ; il fallait passer par ces malheureuses cabanes où les paysans gémissent dans la douleur héréditaire de l’indigence, et, ce qui est pis encore, il fallait traverser les villages de Juifs. J’avais déjà souvent entendu parler de l’aspect hideux de ces villages, mais l’idée que je m’en faisais était encore loin de la réalité, et je ne sais à quoi les comparer pour en donner une juste idée. C’est plus misérable que les cabanes en lave des pêcheurs islandais, plus sale, en vérité, que les tentes des Lapons. Je vois encore ces frêles maisons en planches, éclairées par quelques vitres, partagées en soupentes, coupées par des cloisons où des familles entières s’entassent à l’étroit dans un air méphitique, ces ruisseaux fangeux où des enfans à moitié nus barbottent comme des animaux immondes, ces rues où l’on ne rencontre que des hommes et des femmes en haillons, regardant d’un air hébété le voyageur qui passe, ou se pressant à ses côtés pour exercer sur lui les ruses d’un mesquin trafic.
L’établissement des juifs en Pologne remonte jusqu’au règne de Boleslas-le-Grand (992-1027). Leurs premiers priviléges leur furent accordés en 1096 par Wladimir Ier. Bientôt on les vit se répandre à la surface du pays, accroître d’année en année leur fortune et leurs relations, et, au XIVe siècle, Casimir-le-Grand contribua puissamment à augmenter leur prospérité. Séduit comme Assuérus par les charmes d’une autre Esther, il accorda à cette race errante un droit de protection qu’elle ne trouvait pas alors dans les autres contrées de l’Europe. Peut être espérait-il aussi éveiller et propager par l’esprit mercantile des juifs l’industrie dans son royaume ; mais, « au lieu de la propager, dit M. de Salvandy, il la perdit sans retour. Les nobles eurent plus que jamais horreur et mépris pour les professions utiles. Ces professions suffirent pour ravir au rang sa vertu. La richesse, fruit du travail, déshérita les familles nobles elles-mêmes des prérogatives qu’elle aurait dû conférer, et multiplia seule par des lois protectrices cette population étrangère au culte, aux institutions, aux destinées de la patrie, et restée jusqu’à nos jours attachée au sol des provinces polonaises comme une lèpre dévorante. »
Les juifs forment plus d’un cinquième de la population de Pologne. Ils occupent à eux seuls des villes et des villages tout entiers. Isolés au milieu