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ne pouvait voir humide de larmes. Lui prenant doucement la main : la pauvre fiancée abandonnée murmura d’une voix émue :

— Ma mère ! vous m’aimez, n’est-ce pas ? Ma présence vous fait du bien ? Mes soins vous sont doux, ma mère ? N’est-ce pas, vous souffririez de me quitter ?

L’aveugle tourna la tête du côté de la muraille, et dit :

— Mon Dieu, Ursule, je suis fatiguée ; laisse-moi donc reposer ! Ce mot de tendresse, qu’elle était venue demander comme unique récompense de son douloureux dévouement, il ne fut pas prononcé. La vieille aveugle s’endormit en repoussant la main que sa fille lui tendait. — Mais entre les deux rideaux de serge verte de l’alcôve, il y avait un christ en bois, bruni par le temps. Ses pauvres mains, que nul ami ne voulait presser sur la terre, Ursule les tendit vers son Dieu, et, s’agenouillant près du lit de l’aveugle, elle pria long-temps.

Depuis lors, Ursule devint plus pâle, plus silencieuse, plus immobile que jamais. — Ces nouvelles larmes emportèrent les dernières traces de sa jeunesse et de sa beauté. — Elle vieillit en quelques jours. — À personne maintenant elle ne pouvait plaire ; mais, l’eût-elle pu, Ursule ne l’eût pas désiré ! — « Tout est dit ! » était une phrase qu’elle avait déjà prononcée ; cette fois-là, elle avait tristement raison, tout était dit pour elle !

On n’entendit plus parler de Maurice d’Erval. — Ursule lui avat plu, comme un gracieux tableau dont la mélancolie avait ému son ame ; en s’éloignant, les couleurs du tableau pâlirent, puis s’effacèrent. — Il oublia !

Ô mon Dieu que de choses s’oublient dans la vie ! Pourquoi le ciel, qui a permis que, pour bien des cœurs, l’amour s’éteignît par l’habitude de se voir, n’a-t-il pas du moins accordé à ceux qui se séparent la faculté de se pleurer long-temps ? — Mon Dieu ! la vie que tu as faite est souvent bien triste !

Un an après ces évènemens, la mère d’Ursule tomba malade. — Son mal n’était pas du genre de ceux pour lesquels il existe des remèdes ; c’était la vie qui s’en allait sans secousses, sans déchiremens. — Ursule veilla, pria, près du lit de sa mère, puis reçut son soupir avec sa dernière bénédiction. — « À ton tour, Marthe, dit Ursule, notre mère est près de toi maintenant ! Conduis-la vers Dieu ! »

Puis, elle vint s’agenouiller près du vieillard qui restait seul. — Elle lui fit prendre le deuil sans qu’il parût s’en apercevoir ; mais le deuxième jour après la mort de la pauvre aveugle, quand on eut en-