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lerez le miel ; mais, si vous troublez leur travail, craignez leurs piqûres ! » Il ne se doutait guère, le confiant nabab, que ces abeilles se changeraient bientôt en frelons empressés de piller les ruches voisines. Dès 1632 eut lieu la première rupture entre les Européens et les Mogols qui les avaient accueillis ; les Portugais firent des propositions de paix que l’ennemi rejeta ; la ville fut enlevée, les assiégés périrent dans les eaux du Gange en fuyant à la nage vers les vaisseaux. Sur le plus grand navire de la flotte s’étaient réfugiées près de deux mille personnes ; les Mogols arrivèrent en masse pour les attaquer, et le capitaine, désespérant de pouvoir résister, se fit sauter avec tout son monde. Les Portugais n’avaient pas encore perdu les traditions de ce courage chevaleresque dont Albuquerque et Joao de Castro avaient donné à l’Asie de si magnifiques exemples.

Une dispute qui éclata dans le bazar d’Hoogly entre des soldats et les péons du nabab, en 1686, fut le signal d’une seconde guerre. Plus heureux que leurs devanciers, les Anglais battirent les Mogols : mais bientôt ils évacuèrent cette ville ouverte, impossible à défendre, et descendirent le Gange jusqu’à Chuttanuttee (Calcutta), à vingt-six milles plus bas. Cette station devait être plus définitive. Durant la seconde moitié du XVIIe siècle, les Hollandais occupaient Chinsurah, les Français Chandernagor ; lors de la rébellion du vice-roi Souba-Sing, la position des Européens devint si critique au Bengale, qu’ils demandèrent et obtinrent la permission de se fortifier. Le Grand-Mogol, tout occupé de réduire ses trop puissans soubabs, s’inquiéta peu de voir des remparts enceindre les comptoirs menacés.

Un auteur anglais reproche à ses compatriotes d’avoir généralement moins bien choisi l’emplacement de leurs villes dans l’Inde que les autres Européens ; mais la raison en est que les Anglais vinrent les derniers, et peut-être ce fut cette circonstance peu favorable qui les obligea à faire de plus grands efforts pour compenser l’infériorité de leur position. Comme nous l’avons dit, en 1717 Calcutta n’était qu’une misérable ville environnée de marécages, de forêts, et faiblement défendue par un petit fort, puisqu’en 1742 il fallut creuser un fossé pour prévenir l’attaque des Mahrattes. Ce peuple belliqueux, séparé en deux nations par la double usurpation du premier ministre Balajee Bajerow et du trésorier Bagojee Boonsla (qui, refusant obéissance au prince Ram Radja, s’étaient fixés l’un à Poonah, l’autre à Nagpour), obéissait à une foule de petits chefs, à peu près indépendans les uns des autres, mais toujours prêts à s’unir contre l’en-