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successives qui ruinèrent toutes les capitales assises sur le Gange et sur ses affluens ; ce sont les grands fleuves qui font les grandes villes commerciales. De plus, Calcutta est alimenté par des canaux, par tout un système de navigation intérieure, avantage immense dont Madras est absolument privé, et que Bombay compense par son heureuse position à l’entrée d’un golfe, au milieu d’une côte immense dont cette ville est la capitale, jusqu’à ce que les bouches de l’Indus reçoivent les fondemens d’un port rival. Le grand canal (oriental canal) qui tombe dans le Gange au point de Chitpoor est comme l’embouchure artificielle de tous les cours d’eau qui se divisent à l’est de Calcutta, et sur lesquels flottent les innombrables barques du Jessore, ce district préféré des planteurs d’indigo. À l’époque des débordemens, cette contrée si basse est presque entièrement inondée ; les bateaux, entraînés par un courant rapide, se brisent sur les troncs d’arbres, et le brahmane voyageur, auquel il est défendu de faire cuire son riz au feu des mariniers, gens de basse caste, cherche parfois durant tout le jour un lieu sec où il puisse préparer son repas. C’est à cette abondance de rivières et de ruisseaux, à ces inondations, que Calcutta doit la fertilité de ses environs et aussi l’insalubrité de son climat ; une excessive agglomération d’habitans sur un si petit espace ne détruit-elle pas en partie les salutaires effets des assèchemens qui tendent à assainir la ville ? Malheureusement aussi, les pluies de la mousson[1], qui tombent avec tant de force du 15 juin au 15 octobre, c’est-à-dire au milieu de l’été, rendent trop brusque la transition d’une température brûlante et sèche à une humidité étouffante, et avant les fraîcheurs de l’hiver l’évaporation des eaux cause des fièvres terribles, presque aussi redoutées que le choléra dans les mois d’avril et de mai. Mais un fait curieux, c’est que l’accumulation des terres d’alluvion est si considérable au-dessous même de l’emplacement de Calcutta[2], que l’on arrive à la profondeur de cent quarante pieds sans trouver de sources. En creusant un étang, on a découvert à soixante pieds sous terre de massifs troncs d’arbres tout debout avec leurs branches ; ailleurs, à cinquante-trois pieds, on rencontra une fine couche de charbon et d’argile bleuâtre. Heureux Anglais ! sans le savoir, ils bâtissaient par

  1. Dans les grandes pluies, il tombe par jour trois, quatre et cinq pouces d’eau, ce qui donne une somme de soixante-dix à quatre-vingts pouces pour toute la saison. À Bombay, cent trois jours de mousson avaient donné, en 1832, cent quatre pouces ; un seul jour de juin entrait pour sept pouces trois lignes dans ce total.
  2. Hamilton, East India Gazetteer.