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CALCUTTA.

tains journaux spécialement destinés à l’armée ; et les indigènes qui voient dans l’Inde la France représentée par des comptoirs démantelés, privés de troupes blanches, conclut de tout cela que les nations existent en Europe comme dans cette partie de l’Asie, par la permission de l’Angleterre. Dans les abrégés historiques qu’on met entre les mains des écoliers hindous, la France disparaît en 1815 comme un vaisseau qui sombre ; il est plus difficile de soustraire à la connaissance des indigènes le voisinage encore fort lointain de certaine puissance sauvage et barbare, leur dit-on, qui s’appelle la Russie, et se montre parfois vers Khiva sous la forme d’un cosaque, comme l’éclair avant l’orage. Toutefois admirons chez les Anglais cet esprit national plus vif dans l’Inde que partout ailleurs, parce qu’il y est aussi plus nécessaire ; leurs gazettes de Bombay, de Madras, d’Agra, de Calcutta, renferment parfois des attaques assez violentes contre les gouverneurs, mais non contre le gouvernement ; les sujets de la Grande-Bretagne tiennent à montrer qu’ils sont libres, mais, avant tout, ils craignent de se déconsidérer aux yeux d’un peuple immense qu’ils dominent par le prestige de la dignité personnelle. C’est ainsi qu’ils sont venus à bout de s’assimiler une armée immense toute composée d’indigènes aveuglément soumis aux volontés de la compagnie, aux ordres de leurs chefs. Jusqu’ici, le peuple hindou n’a donc pu, en s’éclairant, acquérir d’autre conviction que celle de la supériorité de ses maîtres ; il en sera ainsi tant qu’il ne communiquera avec l’Europe que par l’intermédiaire de la nation à laquelle il obéit.

Le Gange est, comme on l’a vu, le motif dominant de toute la contrée, de toute la partie de l’Inde dont il est l’artère principale ; le bras qui arrose Calcutta, nommé par les Européens Hoogly, par les indigènes Bhaghiraty, est particulièrement sacré aux yeux de ces derniers. Selon leur légende, il coulait jadis dans les cieux ; l’océan ayant été avalé d’un trait par l’ascète Agasti, les innombrables fils d’un roi nommé Sagara (la mer) périrent dans ces plaines desséchées à la recherche du cheval lancé par leur père en qualité de souverain absolu de toute la contrée. C’était l’usage, après avoir conquis un royaume, de lancer un cheval qui pût errer partout sans que personne osât l’arrêter ; à son retour, on immolait l’animal ; cette cérémonie capitale s’appelait açvameda, sacrifice du cheval. Un descendant de Sagara, Bhaghirata, eut pitié de ses grands oncles gisant dans les abîmes sans sépulture, et un saint personnage lui conseilla d’aller sur le mont Kaïlassa, l’un des pics les plus élevés de la chaîne de l’Himalaya,