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sérénité et de philosophie, adonné aux vertus domestiques, égayant, dès que le grand moment de terreur fut passé, les tristesses et les misères des êtres chéris qui l’entouraient. Son esprit n’avait jamais plus de vivacité que quand il servait son cœur. Chaque évènement, chaque anniversaire de cette vie intérieure était célébré par de petites comédies, par des vaudevilles qu’on jouait entre soi, par de gais ou tendres couplets qui parfois circulaient au-delà : quelques personnes de cette société renaissante se rappellent encore la chanson qui a pour titre : les Amours de Laure. En même temps, dès qu’il le put, M. de Ségur reprit son rôle de témoin attentif aux choses publiques ; de Châtenay il accourait souvent à Paris ; il voyait beaucoup Boissy-d’Anglas et les hommes politiques de cette nuance. S’il ne fut point lui-même à cette époque membre des assemblées instituées sous le régime de la constitution de l’an III, s’il n’eut point l’honneur de compter parmi ceux qui, comme les Siméon, les Portalis, luttèrent régulièrement pour la cause de l’ordre, de la modération et des lois, et qui, eux aussi, suivant une expression mémorable, faisaient alors au civil leur campagne d’Italie[1], il la fit au dehors du moins et comme en volontaire dans les journaux. Plus d’une fois, m’assure-t-on, dans les momens d’urgence, il prêta sa plume aux discours de Boissy-d’Anglas et de ses autres amis. En 1801 enfin, il contribua au rétablissement des saines notions historiques et au redressement de l’opinion par deux publications importantes et qui méritent d’étre rappelées.

La Politique de tous les Cabinets de l’Europe sous Louis XV et sous Louis XVI, contenant les écrits de Favier et la correspondance secrète du comte de Broglie, avait déjà paru en 93 ; mais M. de Ségur en donna une édition plus complète, accompagnée de notes et de toutes sortes d’additions qui en font un ouvrage nouveau où il mit ainsi son propre cachet. La politique extérieure de la France avait subi un changement décisif de système lors du traité de Versailles (1756), au début de la guerre de sept ans : de la rivalité jusqu’alors constante avec l’Autriche, on avait passé à une étroite alliance en haine du roi de Prusse et de sa grandeur nouvelle. Les principaux chefs et agens de la diplomatie secrète que Louis XV entretenait à l’insu de son ministère, étaient très opposés à cette alliance, selon eux décevante et inféconde, avec le cabinet de Vienne, et ils ne cessaient de conseiller le retour aux anciennes traditions

  1. Éloge de M. Siméon, par M. le comte Portalis, pag. 21.