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neutralité, ils ont tenu en échec, pendant près d’une année, toutes les forces de la Russie, ils ont battu toute l’armée de Diebitsch, et arrêté pendant trois jours, aux portes de Varsovie, celle de Paskewitch, le vainqueur d’Erivan. Qu’il me soit permis de rappeler en peu de mots les principaux faits de cette dramatique histoire.

La Pologne commença sa révolution avec 35,000 hommes, et résista, dans les plaines de Grochow, à 180,000 Russes soutenus par 360 canons. L’ennemi lui abandonna le champ de bataille. Au mois de mars, l’armée polonaise se signala par de nouveaux exploits à Wawr, à Dembe, battit encore les légions de Diebitsch, et ne sut pas user de sa victoire. Deux mois après, les Polonais tinrent sous le feu de leurs armes la jeune et la vieille garde impériale, composée de 22,000 hommes. Un effort de plus, et ce redoutable corps était anéanti.

Au mois de juillet, l’armée russe, décimée par les combats, par le choléra, par les désertions, ne se composait plus que de 120,000 hommes, et celle des Polonais, qui de jour en jour grandissait et se fortifiait, en comptait 85,000. Paskewitch avait rangé 80,000 soldats devant Varsovie. Les Polonais en avaient 40,000, c’est-à-dire deux fois plus qu’il n’en fallait pour défendre la ville. 23,000 Russes périrent dans ces derniers jours de combat. Enfin, dans l’espace d’une année, la Pologne, en commençant une guerre contre des forces cinq fois plus nombreuses que les siennes, remporta la victoire dans onze batailles rangées, soixante-huit combats, quarante-quatre engagemens, et à la fin de la lutte son armée était presque aussi considérable que l’armée russe. Qu’a-t-il donc manqué à ce malheureux pays pour rompre les derniers liens de sa servitude, pour reprendre la place qu’il a jadis occupée parmi les autres nations de l’Europe ? Il lui a manqué l’union politique qui dirige les efforts d’un peuple et affermit ses succès, il lui a manqué un homme puissant et résolu, un homme hardi et éclairé, qui eût étouffé sous sa forte main tous les germes de discorde, les divisions de partis, qui eût pu poursuivre intrépidement au conseil et sur le champ de bataille l’œuvre commencée, ne pas s’arrêter à un demi-succès, ne pas perdre les fruits d’une victoire. Voilà ce que les Polonais reconnaissent aujourd’hui, et voilà ce qu’ils ne sauraient trop déplorer.

Praga, qui était autrefois une ville considérable, n’est plus à présent qu’un assemblage de maisons irrégulières et de chétive apparence, habitées en grande partie par les juifs. En face de ce faubourg, ravagé plusieurs fois par les Russes, est Varsovie, élevée sur une hauteur, étagée sur la rive gauche de la Vistule. Son aspect me rappelle celui de Bâle. C’est la même ligne d’édifices ondulant le long des eaux, le même mélange de maisons, d’arbres, de flèches de clochers. On arrive à la capitale de la Pologne par un pont en bois dont les poutres disjointes, les rondins mobiles, tremblent et gémissent sous le pied des chevaux comme des tuyaux d’orgue. La Vistule est large, mais souvent desséchée et coupée par de larges bancs de sable qui arrêtent toute navigation, et on ne la traverse pas sans faire d’abord une longue station à