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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/685

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DES FEMMES PHILOSOPHES.

instinctive de la nature humaine qui peut effrayer des philosophes de profession. Si les femmes trahissent leurs faiblesses dans la combinaison des idées générales, elles sont merveilleuses dans le jugement qu’elles portent sur les individus, et sur les faits particuliers à mesure qu’ils se produisent. Aussi elles ont une dextérité rare ; qui mieux qu’elles connaît l’art d’aplanir les obstacles, de tourner les difficultés ? Les hommes s’emportent, se découragent ; la femme observe, attend et réussit. Ce n’est pas tout : cette adresse dans la vie devient, pour les femmes, une source de gloire littéraire. Il est naturel qu’elles excellent dans le commerce épistolaire, puisqu’elles savent si bien dire à chacun ce qui lui convient. Comment n’écriraient-elles pas des mémoires pleins d’intérêt et de charme, elles qui jugent les scènes et les acteurs de la vie avec une si spirituelle promptitude ? Enfin il est une forme de l’art, un genre dans la littérature pour lesquels les femmes ont une vocation attestée par de nombreux chefs-d’œuvre, c’est le roman, ce tableau des destinées et des passions individuelles. Il est aussi naturel de voir des femmes composer des romans que de voir des hommes écrire l’histoire et bâtir des systèmes.

Et ne disons-nous rien de l’art de causer ? Le salon est la tribune des femmes. Elles doivent à la flexibilité de leurs organes, à la vivacité si mobile et si riche de leurs impressions, la facilité de tout exprimer avec une justesse qui émeut et qui charme. En causant les femmes auront, sur les choses les plus diverses auxquelles auparavant elles avaient à peine songé, des aperçus heureux : elles comprennent vite, il est vrai qu’elles oublient de même. En les voyant courir à travers les sujets les plus disparates avec une si gracieuse légèreté, on dirait la Camille de Virgile effleurant à peine dans son vol les fleurs et les épis. Pour les femmes, la parole est à la fois une excitation et un aliment ; c’est en conversant qu’elles pensent le plus : elles ont besoin de recevoir et d’échanger le plus grand nombre d’impressions possible. Cette sensibilité les inspire si bien, que les hommes dont l’intelligence est la plus forte peuvent beaucoup apprendre auprès d’elles : ils ambitionnent aussi leurs suffrages, et il se trouve qu’une réunion de femmes brillantes devient un aréopage dont les plus graves esprits ne songent pas à décliner la juridiction.

La conversation occupe donc la plus grande part de la vie des femmes. Or, la conversation dissipe l’esprit, et il n’est donné qu’au travail et à la solitude de ramasser, en les doublant, toutes les forces de l’intelligence. Beaucoup parler empêche souvent de penser forte-