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DES FEMMES PHILOSOPHES.

Comment s’est formé le dogme catholique ? Poser cette question ; c’est se placer entre deux mondes pour expliquer la chute de l’un et la naissance de l’autre. Dans la civilisation qui précéda le christianisme, le polythéisme satisfaisait l’imagination de l’homme, et la philosophie, sa raison. C’étaient deux ordres de choses parfaitement distinctes. L’inépuisable poésie de la religion divinisait la nature ainsi que les idées, les passions et les vertus du genre humain. Tout était image, enchantement ; tout, dans le culte antique, provoquait l’homme à la poursuite du bonheur, au développement de la force. Que de belles fables ! que de fictions attrayantes ! cependant la raison avait aussi son aliment : les écoles et les systèmes des philosophes lui expliquaient les principes des choses. La science se développait avec indépendance, et elle offrait à la pensée un champ aussi vaste que le culte à l’imagination. Long-temps la philosophie et la religion fleurirent ainsi en présence l’une de l’autre ; mais elles ne purent échapper à la destinée des choses humaines, elles s’altérèrent. Le polythéisme s’égara dans des créations monstrueuses ; la satiété, le dégoût, suivirent, et le culte dégradé tomba dans le mépris. La philosophie passa de la pratique du bon sens, de la culture d’une science saine et forte, à des exagérations, à des subtilités, à des rêveries qui compromirent son autorité. C’est au milieu de cette double défaillance du culte et de la science antique que parut le christianisme.

Quel moment dans l’histoire du monde ! L’humanité va changer de manière de sentir et de voir. Une doctrine nouvelle, prenant son point de départ dans la morale, dans la prédication de la fraternité humaine, se produit au milieu d’une société que tout fatigue, ses dieux, ses philosophes et ses empereurs ; elle y pénètre, elle y circule comme un dissolvant. D’abord elle jette sourdement l’anathème et le mépris sur les croyances et les idées qui semblent régner encore ; elle travaille à changer les cœurs et les esprits, à leur faire adopter d’autres affections et d’autres principes. D’une part, elle a tout à nier ; de l’autre, elle a tout à construire. C’est ici qu’il importe de redoubler d’attention pour saisir comme en flagrant délit l’esprit humain poussant sa fortune par un double travail. Le fond des idées et des sentimens des hommes a été et sera toujours le même ; seulement l’ordre, la forme et la mesure dans lesquelles se développent ces sentimens et ces idées varient. Le christianisme n’a rien apporté de nouveau mais il a donné à telles affections, à telles pensées, une application plus puissante. Il est curieux d’observer le procédé des