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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

un seul poète. Le talent déborde, mais le génie se retire, et, derrière les nuages épais qui l’enveloppent, travaille à l’enfantement de merveilles futures. Cowper, de la pointe de sa plume, fit une petite piqûre au gros ballon vide de la boursouflure académique, et l’antiquité mythologique céda la place aux évènemens de la vie domestique et réelle. L’auteur du Table Talk ouvrit le chemin à Wordsworth et aux lakistes. Cependant la grande révolution, la véritable renaissance, ne devait s’accomplir que quelques années plus tard, avec les premières ballades de Scott, les premières poésies de Byron, les premiers chants de Moore. C’est alors qu’à l’élément classique et compassé, étranger à l’essence même de la langue britannique, succéda tout à coup l’élément romantique, et que, ceint d’une triple couronne, le génie septentrional s’assit en vainqueur sur les débris d’un passé infécond. Ces trois hommes, Scott, Moore et Byron, sont non-seulement la plus énergique expression de l’époque à laquelle le dernier seul a légué son nom, mais encore les deux premiers personnifient en quelque sorte le pays qui les a vus naître. Il est impossible de ne pas remarquer la frappante analogie qui, dans l’un et l’autre cas, existe entre l’individu isolé et la masse nationale, entre les sentimens, les passions, les instincts populaires, et l’œuvre plus réfléchie qui les reproduit sans cesse ; de ne pas observer avec intérêt combien le poète attire, rassemble, concentre et absorbe en lui les rayons, partis des limites du cercle insaisissable qui l’entoure. On dirait que l’Irlande et l’Écosse tenaient à faire valoir leurs droits littéraires et à changer en triumvirat la dictature menaçante de l’Anglo-Normand. Pendant que Scott publiait Marmion, Waverley et Rob-Boy, pendant qu’il s’appliquait à relever des ruines, à glorifier la monarchie, la féodalité, la tradition, à ranimer de son souffle puissant le grand cadavre du moyen-âge, l’auteur des Mélodies irlandaises s’élançait avec avidité vers l’avenir, et faisait retentir les trois royaumes du cri de la liberté politique. En ceci, chacun des deux poètes n’a fait en quelque sorte que reproduire l’histoire morale de son pays. L’Écosse de tout temps fait ses révolutions en arrière, et la révolte qui aujourd’hui, au nom de Robert Bruce, ira menacer les Plantagenets sur leur trône, se fera écraser demain à Culloden, en cherchant à replacer une couronne sur le front du dernier des Stuarts. L’Irlande, au contraire, pour s’assurer sa place si rudement disputée parmi les nations, marche en avant, haletante, le front en sueur, l’œil en feu, hardie, infatigable. — En avant ! c’est le cri à la fois de son espérance et de son désespoir. Pour les deux peuples, l’Anglais demeure presque