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au même degré un objet de terreur et de haine ; le pâle Saxon, comme l’appellent les deux langues, réveille à peu de chose près les mêmes antipathies chez le highlander de Glencoe que chez le batelier de Killarney ; l’un et l’autre tournent leurs regards vers la France mais chacun avec une idée bien différente. Tandis que l’Écosse implore l’aide de la France monarchique, et que Holyrood et Versailles se renvoient réciproquement leurs rois, l’Irlande se jette dans les bras de la France révolutionnaire, ouvre ses ports à Hoche et appelle le vainqueur d’Arcole. Ce qui dans l’Angleterre blesse les susceptibilités nationales des Écossais, c’est ce manque de respect pour les antiques coutumes, cette allure insolente de parvenue enrichie qu’affecte quelque peu l’indépendante Albion, tout au rebours de l’Irlande, qui ne reproche à sa voisine que sa trop grande illibéralité et l’exercice d’une tyrannie passée de mode de nos jours. L’une se plaint de trop, l’autre de trop peu d’innovations. Les causes de cette situation sont faciles à saisir. L’Écosse, réunie en 1603 seulement à la couronne britannique, apportée à l’Angleterre, pour ainsi dire, en don du matin par un roi écossais, ne put être envisagée comme une conquête ; néanmoins, tout en gardant son rang, elle perdait sa royauté ; on la traita en sœur, mais en sœur cadette. L’orgueilleuse Calédonie s’en blessa profondément, et l’Europe put contempler le spectacle assez singulier d’une nation à laquelle chaque liberté que l’on accordait enlevait un trésor, une illustration, un privilége, un souvenir. L’Irlande, au contraire, qui, si loin qu’elle regardât en arrière et de quelque côté qu’elle se tournât, ne découvrait autour d’elle que désolation et misère, l’Irlande, pauvre, gémissante, abandonnée, proscrite, que pouvait-elle rêver sinon l’avenir, ce qui n’était pas, ce qui n’avait jamais été ? L’Écosse, entichée de sa noblesse, féodale en son ame, même de nos jours, quoiqu’elle eût peut-être gagné sous le point de vue matériel, voulut reculer pour saisir le mieux. L’Irlande, seule au monde, sans pain pour ses enfans, sans autels pour son culte, sans passé, sans présent, l’Irlande se jeta dans l’inconnu pour en arracher le bien que malheureusement elle attend encore. — C’est comme les représentans de ces deux tendances opposées qu’il faut envisager Scott et Moore.

Cependant au-dessus des franchises partielles ou spéciales restent les franchises de l’intelligence, au-dessus des intérêts les passions, au-dessus des hommes l’homme ; c’est là qu’il faut chercher Byron. Moins national que Moore ou Scott, il appartient par cela même davantage à l’humanité, et, tandis que ses deux contemporains re-