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LA RUSSIE.

imperator Nicolaus rex Poloniæ monumentum hoc fecit. Anno 1829[1] ; à droite, une urne sépulcrale consacrée à la mémoire du roi Stanislas-Auguste, avec cette poétique inscription : Morte quis fortior ? Gloria et amor[2]. Deux rois de Pologne, le valeureux Sobieski et le galant Stanislas-Auguste, placés ainsi l’un en face de l’autre ; deux phases d’une époque de gloire et d’indépendance, et le nom de l’empereur Nicolas au milieu ! Est-ce le hasard qui fait de tels rapprochemens ?

Les autres églises de Varsovie n’offrent rien de très remarquable. Elles ont été ravagées plusieurs fois, reconstruites de différentes façons, et remplies d’œuvres de luxe plus que d’œuvres d’art. Une foule pieuse s’y presse chaque dimanche et chaque jour de fête. Le peuple de la ville et le peuple des campagnes, qui apporte chaque matin ses denrées sur la place où s’élève la colonne de Sigismond III, s’en va, dès que la cloche sonne, vers les temples qu’il vénère. Les hommes, portant encore leur besace sur l’épaule, s’agenouillent au bas de la nef ; les femmes se frappent la poitrine et se prosternent la face contre terre. Presque tous baisent religieusement en arrivant les pieds, les mains du Christ ou des saints dont les statues en plâtre décorent l’entrée de l’église.

C’est dans l’ancienne partie de la ville que s’élèvent la plupart de ces églises et la plupart des couvens. Quoique cette moitié de Varsovie date de loin, on n’y trouve point ces formes d’architecture pittoresque, ces constructions artistiques du moyen-âge qui font l’ornement des vieilles villes de France et d’Allemagne. Incendiée à diverses reprises, ravagée par les discordes civiles et les hordes étrangères, elle a perdu son caractère primitif, et on ne reconnaît guère son ancienneté qu’à ses rues tortueuses et obscures, aux fenêtres étroites, aux corridors sombres de ses maisons. Tout ce quartier est presque entièrement occupé par la classe bourgeoise et industrielle, les ouvriers et les petits marchands. Les riches familles de la noblesse, les fonctionnaires et le haut commerce sont répandus dans le faubourg de Cracovie, dans la rue Électorale et la rue du Miel, dans la grande et élégante rue qu’on appelle le Nouveau-Monde. Là est la place de l’hôtel-de-ville, occupé maintenant par une légion d’employés de police, le jardin de Saxe, auquel il ne manque que des bassins d’eau pour rivaliser avec les Tuileries, la place où l’on a érigé la statue de Kopernik, et une autre grande place carrée où s’élève le monument le plus lourd et le plus impopulaire qu’il soit possible d’imaginer. C’est une colonne carrée en bronze ou en tôle vernie posée sur un piédestal à huit angles et entouré de huit animaux grotesques. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que ces animaux sont des lions, symbole de la force et du courage, et l’explication du symbole est sur une des faces de la colonne, où l’on voit écrits en lettres d’or les noms de huit Polonais massacrés par le peuple pendant les

  1. « Aux mânes de l’invincible prince Jean III, roi de Pologne, qui souvent mit en fuite les armées turques et délivra Vienne assiégée, Nicolas, empereur de toutes les Russies et roi de Pologne, a élevé ce monument. »
  2. Quoi de plus fort que la mort ? L’amour et la gloire.