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avec curiosité ; nous venions d’ôter nos manteaux, et les maîtres de la maison nous regardaient avec quelque surprise. Le petit Grec entra et déposa nos deux sacs au milieu de la chambre, préparant ainsi l’exorde de mon discours. J’expliquai à M. Spadaro qui nous étions et la position fâcheuse dans laquelle nous nous trouvions ; après quoi je lui demandai hypocritement si le couvent était bien éloigné et où nous pourrions trouver un asile pour la nuit. Il me répondit que le couvent était fermé, que dans l’île il n’y avait pas de locanda, mais qu’il nous priait d’accepter l’hospitalité que lui, notre agent, était heureux de nous offrir. Nous acceptâmes de grand cœur, comme on le pense. Nos hôtes échangèrent à voix basse quelques paroles. La matrone, qui, dans son favoriscano, avait prononcé le seul mot italien de son répertoire, nous quitta ; M. Spadaro prit place à côté de nous. Aussitôt il se fit un mouvement dans la maison. Je commençais à trouver qu’il y avait beaucoup d’imprévu et de couleur locale dans la scène que nous avions sous les yeux, et je songeai à Télémaque arrivant chez Nestor ou chez Ménélas ; il ne manquait, pour que notre réception fût pareille, que de brunes jeunes filles qui nous menassent au bain et nous couvrissent des habits les plus fins.

Tout à coup une porte s’ouvrit, et une charmante Grecque entra ; elle vint gracieusement nous saluer et s’assit en face de nous. Je me frottai les yeux ; les divers incidens de cette soirée repassèrent devant moi, et je me demandai si j’étais réellement éveillé. Maria Spadaro, car c’était la fille de notre hôte, pouvait avoir seize ans. Sa taille était souple et élancée ; ses beaux cheveux châtains, nattés en longues tresses, enroulés d’un châle rouge, entouraient sa tête, et mon regard, attiré d’abord par cette coiffure nouvelle, se fixa charmé sur les traits de la jeune fille. Son profil avait toute la pureté des lignes grecques ; ses longs yeux clairs, humides, étaient frangés de longs cils noirs, et l’éclat méridional de ses regards, ainsi voilé, répandait de l’animation sur tout son visage sans lui rien ôter de sa délicieuse candeur. Ajoutez à cela un teint éblouissant, des lèvres roses, souriantes, des dents d’une blancheur et d’une grace irréprochables ; mettez-vous à la place de deux voyageurs harassés, tombés à l’improviste, la nuit, dans une maisonnette, au milieu d’une île que nul étranger ne visite, et vous aurez une idée de l’apparition qui s’offrit à nous et du ravissement qu’elle nous causa. La jeune Tiniote, avec une simplicité modeste aussi éloignée de la gaucherie que de l’affectation, nous exprima assez difficilement, en français, que nous