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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/818

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REVUE DES DEUX MONDES.

tâmes le couvent de l’Annonciation, quantité de cellules étaient encore habitées, et comme ces pèlerins étaient des hommes du peuple qui n’avaient pas, ainsi que notre guide, de prétentions à l’élégance, nous pûmes observer une variété de costumes fort curieuse. C’étaient des Albanais avec leurs guêtres brodées, leurs vestes pailletées, leurs blanches fustanelles, leurs tailles de guêpes et leurs ceintures garnies de pistolets à crosses d’argent ; des femmes hydriotes avec leurs beaux yeux et leurs coiffures en forme de ruches ; d’élégantes Smyrniotes portant coquettement sur l’oreille le tactykos brodé d’or ; des Grecs de toutes les îles, avec leurs larges pantalons verts et leurs fez rouges à houppes bleues. Notre cicérone semblait fort mécontent de nous voir visiter ce couvent avec intérêt. C’est à peine s’il nous permit de regarder la pierre où fut découverte la prétendue madone. Il avait des sourires voltairiens. Forcé d’entrer avec nous dans l’église, il ne le fit qu’avec une extrême répugnance, comme s’il eût craint de voir s’écrouler sur lui ces murs profanes. Dans sa jalousie de catholique, il jetait à la dérobée des regards moqueurs sur le bonnet rond du prêtre grec qui nous conduisait, il accueillait toutes ses paroles avec des haussemens d’épaule accablans d’ironie et d’incrédulité, et je pus remarquer, en cette occasion comme dans beaucoup d’autres, l’extrême froideur, on pourrait dire l’aversion, qui existe à Tine et dans les autres îles entre les catholiques romains et les schismatiques grecs. Dans la vie habituelle, ils n’ont entre eux presque pas de relations, et j’ai toujours cru voir, je dois le dire, que l’intolérance existait surtout du côté du catholicisme. À Tine, cette intolérance est telle que je ne la puis mieux qualifier qu’en la comparant à notre manière d’être, en France, vis-à-vis des juifs.

À deux heures, nous étions de retour chez M. Spadaro. Le couvert était mis dans la grande salle, et je vis qu’en notre honneur il allait y avoir grand gala. Les conviés étaient rassemblés ; notre hôte vint au-devant de nous avec une joyeuse bonhomie. Il nous présenta au curé du village, puis à ses frères, anciens marins qui avaient passé leur vie à faire un petit commerce entre Smyrne et Alexandrie. Ensuite arrivèrent avec leurs maris ses deux filles aînées, demi-sœurs de Maria. Le petit vieillard a eu deux femmes et dix-sept enfans.

M. Spadaro avait envoyé, dès le matin, prévenir de notre arrivée tous les membres de sa famille, et tous arrivaient de leurs différens hameaux pour l’aider à nous faire les honneurs de sa maison. Maria vint nous demander si nous ne trouvions pas bien laide sa pauvre île, nous qui avions vu tant et de si beaux pays ? Je ne sais ce que je